L’acide arachidonique (AA, acide oméga-6 à 20 carbones) est un acide gras dont il convient de surveiller les apports car sa production à partir de son précurseur, l’acide dihomo-gamma-linolénique (un oméga-6) est insuffisante et l’alimentation de l’enfant ne contient pas assez de sources d’AA. Or ce lipide joue un rôle important dans la croissance du cerveau du petit enfant et dans son développement cognitif. L’acide docosahexaénoïque (DHA, oméga-3 à 22 carbones) est quant à lui un acide aminé essentiel intervenant dans les mêmes dimensions du devenir de l’enfant. Cela s’explique notamment par leur statut de composants des membranes neuronales et des membranes des cellules de la rétine, où ils s’accumulent en fin de grossesse et au début de la vie post-natale. Il a été montré dans des études animales que les acides gras oméga-3 et oméga-6 sont nécessaires au cours de la division cellulaire dans le cerveau pour constituer les cellules filles. Toujours chez l’animal, un déficit maternel en oméga-3 pendant la gestation conduit notamment à un ralentissement de la formation des neurones du cortex cérébral et à une diminution de la croissance des dendrites de ces neurones.
Constituer les stocks
En tant qu’acides gras essentiels, ils doivent être apportés par l’alimentation et les apports au fœtus dépendent donc des apports à sa mère. Pendant la grossesse, le placenta les transporte vers le sang fœtal, tandis qu’après la naissance, l’enfant les reçoit via l’allaitement à condition que sa maman ait des apports suffisants, ou via le lait artificiel s’il en contient. Une étude récente a montré que la supplémentation des laits infantiles à raison de 0,32% du total des acides gras améliore l’acuité visuelle des enfants, mesurée à l’âge de douze mois, par rapport à ceux qui n’en ont pas eu dans leur biberon. Une supplémentation plus forte n’apporte toutefois pas de bénéfice supplémentaire. Certains indices tirés d’autres études donnent même à penser qu’un apport trop important pourrait être nuisible. Tout cela revient à dire qu’il faut fournir à la mère des apports suffisants en acide arachidonique et en acide docohexaénoïque pendant la grossesse et l’allaitement. Le statut en acides gras essentiels du fœtus est lié à l’âge de la grossesse et la disponibilité fœtale en acides gras polyinsaturés essentiels dépend de l’apport alimentaire. L’enfant né à terme est pourvu d’un stock de DHA mais le prématuré n’en possède pas, parce que c’est précisément en fin de grossesse que ces stocks se constituent.
Dans une étude menée en 2008, la supplémentation en acides gras polyinsaturés oméga-3 à très longue chaîne pendant la grossesse et l’allaitement a favorisé le développement d’un quotient intellectuel plus élevé à l’âge de quatre ans par rapport à un apport supplémentaire en oméga-6. A sept ans, les mêmes enfants ont été revus et cette différence n’a plus été retrouvée mais il a été constaté que les concentrations en ces deux acides gras au cours de la grossesse restaient corrélées avec les scores réalisés par les enfants dans la résolution de problèmes avec des approches de type séquentiel, c’est-à-dire en classant les stimuli reçus selon un ordre séquentiel, par opposition à des problèmes qui imposent de traiter les informations simultanément pour pouvoir être résolus. On a aussi montré une différence positive d’acuité visuelle des enfants de mères supplémentées pendant leur grossesse, par rapport à ceux dont la maman n’avait pas reçu de suppléments en oméga-3.
Pour la mère aussi
La supplémentation en oméga-3 semble aussi capable de diminuer le risque d’asthme. Dans une étude comparative entre enfants de mères supplémentées en huile de poisson, le risque d’asthme à 16 ans avait diminué de 63% et celui de l’asthme allergique avait reculé de 87% par rapport à celui des enfants dont la mère n’avait pas reçu de suppléments pendant sa grossesse. Mais il faut dire que le nombre de cas dans l’un et l’autre groupe était faible. Toutefois, d’autres constatations vont dans le même sens, au point que Wilczynska-Kwiatek, par exemple, va jusqu’à estimer qu’il faudrait recommander une supplémentation en oméga-3 dans la prévention de l’asthme et comme traitement adjuvant de celui-ci. Les résultats de plusieurs études vont aussi dans le même sens à propos de l’eczéma.
Des études ont suggéré que la supplémentation en oméga-3 permettrait de réduire le risque de pré-éclampsie et d’hypertension artérielle mais les résultats ne sont pas univoques et la question doit donc être approfondie. On a également de bonnes raisons de penser, bien que cela ne soit pas encore prouvé non plus, que les apports suffisants en oméga-3 pourraient contribuer à améliorer le profil lipidique de la femme enceinte, à favoriser son équilibre glycémique et, en cas de diabète gestationnel, à limiter les conséquences (macrosomie et dyslipémies) pour le fœtus. Et pour la maman, il semble bien que le risque de dépression du post-partum soit également diminué, surtout si elle allaite. Les études animales, encore une fois, tendent à montrer que le DHA diminue dans les tissus cérébraux de la mère allaitante, en particulier au niveau de l’hippocampe, tandis que la réponse de l’axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien au stress est accrue. Cette voie mériterait donc d’être explorée plus en profondeur.
A couvrir
On n’est pas capable de dire, dans l’état actuel des connaissances, quels sont les apports optimaux en oméga-3 pendant la grossesse. Mais en raison des rôles expliqués plus haut, on peut tout au moins considérer que ces apports doivent être supérieurs à ce qu’ils devraient être en dehors de la grossesse. L’International Society for the Study of Fatty Acids and Lipids, recommande néanmoins des apports de 4.44 g d’acide linoleique et 2.22 g d’acide α-linolénique, avec au moins ≥ 0.22 g de DHA et 0.22 g d’acide eicosapentaénoïque pour les adultes et au moins ≥ 0.3 g de DHA par jour pour la femme enceinte.
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