Des cyanobactéries, souvent appelées aussi algues bleues, il y en a de toutes les sortes, des bonnes et des mauvaises. L’une d’entre elles, la spiruline est promise à une brillante carrière dans l’espace, comme on l’a vu ailleurs dans la présente édition. Elle a d’ailleurs déjà servi, sur cette bonne vieille terre, d’aliment permettant de lutter contre la dénutrition et on l’utilise encore à cette fin ou dans certaines situations cliniques comme les hyperlipémies, la rhinite allergique ou le syndrome métabolique, avec des résultats qui sont toutefois à confirmer.
Du poisson à l’homme
Malheureusement, en dehors de quelques espèces potentiellement bénéfiques dont fait partie la spiruline, la plupart des espèces rencontrées chez nous dans la nature sont toxiques. Et elles se développent essentiellement à la surface des eaux dans certaines conditions. Il est donc nécessaire que des spécialistes surveillent attentivement ces eaux, pour monitorer le développement des cyanobactéries et poursuivre leur étude, afin de mettre au point des systèmes d’alerte pour les eaux de baignades, de mieux comprendre la biologie de ces micro-organismes en vue de maîtriser leur développement et de connaître leurs toxines pour développer des antidotes et autres traitements en cas de contamination de l’homme ou des animaux: poissons, oiseaux et autre faune sauvage, mais aussi les animaux domestiques, en particulier les animaux de ferme. L’homme peut aussi être atteint, bien que ces cas soient rares et qu’on n’en connaisse pas en Belgique depuis pas mal d’années, mais l’accident reste possible dans des eaux de baignades trop riches en cyanobactéries. Des normes sont donc établies et la surveillance est obligatoire depuis une directive européenne de 2006. La surveillance, c’est ce que réalisent ensemble des équipes de chercheurs des universités de Namur, de Liège, de la Vrije Universiteit Brussel et de l’Universiteit Gent, organisées en un réseau d’échange de données scientifiques et menant le projet B-BLOOMS2, financé par la Politique Scientifique Fédérale.
Fleurs des lacs
Les chercheurs engagés dans ce projet ont étudié cinq plans d’eau de notre pays: deux en Flandres (le plan d’eau de Westveld à St-Amandsberg et le Donkmeer à Overmeere), deux à Bruxelles (les étangs d’Ixelles) et un en Wallonie (le lac de Fallemprise près de Cerfontaine, zone de baignade très fréquentée en été). Ils ont aussi recueilli des échantillons obtenus grâce à BLOOMNET, un réseau rassemblant les utilisateurs et gestionnaires de l’eau des différentes régions. Ils ont ainsi pu suivre les variations de l’abondance des cyanobactéries dans ces eaux.
Les cyanobactéries étant microscopiques, elles sont invisibles à l’œil nu. Mais certaines conditions favorisent leur multiplication au point de les voir former des masses importantes, qui elles, sont visibles à l’œil nu. Ces masses sont appelées «blooms», fleurs d’eau en quelque sorte. C’est d’ailleurs de là que viennent les noms des projets et réseaux scientifiques cités plus haut. Les conditions favorables à l’apparition des blooms sont une charge en nutriments élevée, notamment des phosphates, une eau peu acide (peu de CO2), une température relativement élevée, une stratification de la colonne d’eau et une relative stagnation des eaux. Les analyses génétiques des blooms de cyanobactéries montrent qu’ils peuvent présenter une grande diversité et se composer de souches très différentes par de nombreux caractères, y compris la toxicité. Cette dernière se manifeste elle-même par l’action de plusieurs toxines différentes. Ces toxines sont stockées dans les micro-organismes et libérées lorsqu’ils meurent. Elles agissent, selon les cas, par simple contact, après inhalation ou après ingestion. Il est exceptionnel que les eaux de consommation soient contaminées: cela n’a pas été décrit chez nous mais d’autres continents ont connu des cas.
Micro-hémorragies
Les toxines des cyanobactéries sont des microcystines et on en connaît plus de cinquante. Ce sont des heptapeptides monocycliques. Les plus répandues sont les microcystines LR, dénomination dans laquelle les lettres L et R désignent les deux acides aminés qui peuvent varier d’une molécule à une autre. On distingue plusieurs mécanismes de toxicité. Les dermatotoxines sont responsables d’irritation cutanée. Les neurotoxines provoquent l’asphyxie ou des paralysies. Enfin, certaines cyanotoxines peuvent être à l’origine de gastro-entérites ou- ce qui est plus grave – d’une hépatotoxicité potentiellement mortelle. Les microcystines se comportent en effet comme des inhibiteurs des phosphatases des protéines, pour lesquelles elles ont une forte affinité: leur effet inhibiteur se manifeste à des concentrations de l’ordre du nanomolaire ou même moins. Leur ingestion les conduit au foie, où elles sont introduites dans les cellules par des transporteurs. Elles s’attaquent alors au cytosquelette des hépatocytes et des cellules endothéliales des capillaires sinusoïdes hépatiques. Ces cellules se rétractent et se désolidarisent les unes des autres. Elles laissent passer entre elles les globules rouges, provoquant ainsi d’innombrables hémorragies intra-hépatiques et permettant au sang de s’insinuer entre les hépatocytes désolidarisés.
Du point de vue clinique, les vétérinaires connaissent mieux la situation que les médecins des hommes. Ils sont plus avertis pour le diagnostic et c’est dans leur littérature scientifique que l’on trouve des pistes pour le traitement, qui est avant tout d’abord symptomatique. Un anticonvulsivant est administré (souvent une benzodiazépine et si nécessaire un médicament plus puissant). On l’associe éventuellement à un stimulant (analeptique) respiratoire. Les vétérinaires pratiquent éventuellement le lavage gastrique. Ils font parfois appel au charbon actif, sensé absorber la toxine mais cette méthode connait des limites et des contre-indications en médecine humaine.
Si la nature de la toxine est connue, un traitement spécifique peut être administré. En médecine humaine, on évoque aussi la possibilité de recourir à la rifampine (groupe de la rifampicine).
Prudence
Mais tout cela reste à la fois empirique et difficile. Conclusion: surveillons bien les eaux, comme le font nos scientifiques, et soyons prudent en cas de dépassement des seuils de tolérance. Evitons de consommer du poisson provenant d’eaux trop riches en cyanobactéries et de nous y baigner. Les chercheurs qui participent au projet B-BLOOMS2 se sont réunis à la fin 2010 à Bruxelles pour mettre leurs résultats en commun. Un colloque international s’est aussi tenu récemment à Istamboul.
B-BLOOMS2 Project
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En anglais, consulté en janvier 2011
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Site en français. Consulté en janvier 2011.
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Site en français. Consulté en janvier 2011.
Université de Liège. Les cyanobactéries dans les eaux belges. Communiqué de presse du 10-12-2010.
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En français, consulté en janvier 2011. Publié également par Belspo lors de sa conférence de presse du 10-12-2010.
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Site « Vie » du Groupe Technique Disciplinaire (GTD) des Sciences de la Vie et de la Terre (France)
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En français, consulté en janvier 2011.