Les oméga 3 sont souvent abordés de manière générique, alors qu'il importe de faire au moins la distinction d'une part entre les précurseurs, l'acide alpha-linolénique (ALA) ou C18:3 n-3, et ses deux homologues supérieurs, le EPA (C20:5 n-3) et le DHA (C22:6 n-3). Cette différence s'exprime d'ailleurs dans les Apports Nutritionnels Recommandés, qui précisent les quantités pour l'ensemble des oméga 3, pour l'ALA, et pour le EPA + DHA. C'est aussi une différence qui peut être facilement faite au niveau des sources alimentaires, l'ALA étant présent essentiellement dans le règne végétal, alors que le EPA et le DHA viennent essentiellement du poisson et de fruits de mer.
Les nombreuses investigations menées dans le domaine cardiovasculaire ont mis en lumière tant l'intérêt de l'ALA, que celui du EPA + DHA. Ce qui conforte la thèse selon laquelle malgré la possibilité par notre organisme de convertir une partie de l'ALA en EPA et DHA, cette voie n'est pas en mesure de satisfaire de manière optimale les exigeances en n-3 à longue chaîne. Cette importance des différents types d'oméga 3 pourrait aussi se manifester dans la santé mentale. C'est en tout cas ce qui ressort d'une nouvelle étude portant sur l'analyse des relations entre les habitudes alimentaire et les risques de démence ou de maladie d'Alzheimer, la principale forme de démence parmi les personnes âgées (1).
Les neurones sous tension
Plusieurs travaux ont, par le passé, rapporté des associations inverses entre la consommation régulière de poisson et le risque de développer une démence. À l'instar des observations concernant le risque d'infarctus chez les esquimaux, ce constat a rapidement conduit à prêter aux oméga 3 un potentiel préventif. Les oméga 3 à longue chaîne sont en effet des composants majeurs des membranes neuronales, et ont des propriétés anti-inflammatoires qui pourraient expliquer des effets protecteurs contre la démence.
Les choses ne sont pas claires pour autant, et certaines études épidémiologiques n'ont pas trouvé d'association entre l'apport total en oméga 3 et le risque de démence ou de déclin des fonctions cognitives. Et qui plus est, la consommation habituelle de poisson peut aussi être le reflet de caractéristiques alimentaires, socio-économiques ou autre susceptibles d'agir comme facteurs confondants. Ainsi, des aliments tels que les fruits et légumes ou le vin, pourraient, par le biais de leurs antioxydants, contribuer à protéger les oméga 3 de la peroxydation, et jouer ainsi un rôle pour freiner le développement des démences. A l'inverse, il n'est pas exclu qu'une alimentation trop riche en oméga 6, dont les effets peuvent être contraires à ceux des oméga 3, exerce des effets délétères.
Trois grandes villes
Cette nouvelle étude, la « Three-City cohort study », a été menée auprès d'une cohorte de 8085 personnes âgées de 65 ans issues de trois villes françaises, Bordeaux, Dijon et Montpellier. Chaque participant était exempt de démence à l'inclusion, et a été réexaminé au moins une fois en 4 ans, période au terme de laquelle 281 cas de démence, dont 183 de maladie d'Alzheimer, ont été diagnostiqués par un comité indépendant de neurologues.
Pour leur analyse, les auteurs ont pris soin d'ajuster les données pour les aspects sociodémographiques et les facteurs de risque vasculaire. De plus, ils ont pris en considération le génotype pour l'ApoE : on sait en effet que fait d'être porteur du génotype ApoE4 est associé à un risque accru de développer une maladie d'Alzheimer, et il n'est pas exclu que ce génotype présente certaines interactions avec le métabolisme des lipides.
Oméga 3 contre oméga 6
Les résultats de cette étude montrent un effet protecteur des sources alimentaires d'oméga 3 tant végétales que celles venant du poisson. La consommation hebdomadaire de poisson est associée à une réduction du risque de maladie d'Alzheimer de 35 % et de celui de toute forme de démence de 40 %, mais uniquement chez ceux qui ne sont pas porteurs de l'ApoE4 (qui représentent la majorité de la population). La consommation régulière d'huiles riches en oméga 3 est associée à une réduction du risque de démence de 54 %, association cependant à la limite du seuil de significativité. Par ailleurs, la consommation de fruits et légumes apparaît également comme un facteur protecteur : ceux qui en ingèrent quotidiennement affichent un risque de démence réduit de 28 %, par rapport à ceux qui ne mangent de façon moins régulière.
Le vin, le beurre, l'huile d'olive ou la graisse de canard et d'oie ne présentent aucune association significative avec le risque de démence. Par contre, la consommation régulière d'huiles riches en oméga 6 (tournesol, pépins de raisin) apparaît bel et bien associée à une augmentation du risque de démences, mais uniquement lorsque cet apport n'est pas compensé par la présence d'oméga 3 venant des huiles ou du poisson. Cet effet différent des acides gras polyinsaturés pourrait être attribué aux propriétés pro-inflammatoires des oméga 3, qui seraient compensées par les propriétés anti-inflammatoires des oméga 3. Plusieurs études ont en effet montré une association entre l'inflammation neuronale et la pathologie neurodégénérative. Les acides gras polyinsaturés pourraient aussi exercer un effet par le biais de la modulation de l'expression de gènes dans le cerveau (en particulier le DHA).
Poisson et végétaux
Quoi qu'il en soit, ces résultats viennent conforter les données en faveur d'une alimentation bien équilibrée en acides gras, avec une présence suffisante d'oméga 3 venant des deux sources (végétale et marine). Rappelons que des travaux antérieurs ont aussi souligné le caractère néfaste de la richesse en acides gras saturés de l'alimentation sur la maladie d'Alzheimer. Cet équilibre en acide gras gagne à être dans un environnement riche en antioxydants, notamment par le biais d'une présence importante de fruits et légumes. Voilà qui, en dépit des nombreuses inconnues qui subsistent, constitue pour l'heure la piste la plus consistante pour moduler favorablement le risque de démence.
Les ados belges manquent d'oméga 3
Une étude réalisée par l'Université de Gand a décortiqué l'alimentation de 341 adolescents flamands pour en extraire, en autres, les apports en acides gras, tout particulièrement en oméga 3. Sur base d'un carnet alimentaire de 7 jours, il ressort que l'apport alimentaire en ALA est de 1,4 g par jour, celui en EPA + DHA de 167 mg, ce qui est nettement insuffisant. En effet, sur la base d'un apport énergétique moyen de 2000 kcal (ce qui est même insuffisant pour des ados « actifs »), les apports quotidiens en ALA devraient atteindre au moins 2,89 g et ceux en EPA + DHA au moins 667 mg. En d'autres termes, les adolescents flamands (et rien ne permet de suggérer que la situation soit moins préoccupante en Wallonie !) atteignent à peine la moitié des recommandations en ALA, et le quart des recommandations en EPA + DHA.
Nicolas Guggenbühl, Diététicien Nutritionniste
Références
(1) Barberger-Gateau P et al. Neurology 2007 ;69 :1921-1930.
Sioen I et al. J Hum Nutr Diet 2007 ;20(6):580-589.