Tout le monde le sait, « un bon petit déjeuner est essentiel pour bien démarrer la journée ». Or, c'est un repas que l'on zappe trop souvent, faute de temps, d'envie ou en voulant limiter son apport quotidien de calories. Et pourtant, il se laisse dire que les personnes qui prennent un petit déjeuner sont celles qui mangent le plus équilibré et qui ont un BMI moins élevé. Mais qu'en est-il réellement ?
Lié au surpoids
Notre pays n'échappe pas à la règle: le petit déjeuner y subit bien des revers. C'est le repas qui est pris le moins régulièrement, avec 79% de nos compatriotes qui le consomment au moins cinq jours par semaine (1). Les tranches d'âge des 15-18 ans et des 19-29 ans sont celles qui sont le moins fidèles au premier repas de la journée, et les hommes sont également moins réguliers que les femmes. Le niveau d'instruction s'avère aussi corrélé à la régularité du petit déjeuner, les personnes dont le niveau d'étude le plus élevé ne dépasse pas le secondaire inférieur sont 74% à petit déjeuner régulièrement, contre 86% pour les personnes possédant un diplôme d'enseignement supérieur. Bien que nos statistiques nationales ne montrent pas d'association significative entre la prise d'un petit-déjeuner et le BMI, la prise du petit déjeuner a déjà pu être liée au poids corporel et ce, à plusieurs reprises.
Par exemple, une étude prospective a été menée auprès d'adolescents américains suivis pendant cinq ans. Les adolescents qui sautaient le petit déjeuner, même si ce n'était pas tous les jours, ou diminuaient leur fréquence de consommation de ce repas au cours du suivi, avaient plus de risques de voir leur BMI augmenter lors de cette période (2). Parmi des enfants néo-zélandais, ceux qui sautaient le petit déjeuner affichaient un BMI plus élevé et comptaient parmi ceux qui subissaient les conditions socio-économiques les moins favorables. De plus, il était moins probable qu'ils consomment suffisamment de fruits et légumes, et plus probable qu'ils avalent des snacks peu recommandables (3). Enfin, une étude canadienne menée auprès de jeunes enfants (44-56 mois) soulignait que, même à cet âge, il arrivait plus fréquemment qu'on ne le pense que le petit déjeuner passe aux oubliettes: 10% des enfants ne le prenaient pas quotidiennement. Il s'agissait le plus souvent d'enfants dont la mère était immigrée ou ne possédait pas un diplôme d'humanités, ou d'enfants faisant partie de familles à revenus faibles. Et le fait de ne pas petit-déjeuner tous les jours doublait le risque d'être en surpoids à l'âge de 4 ans et demi (4).
Et la qualité?
Hormis la présence ou l'absence du repas matinal, on en apprend aussi beaucoup si l'on se penche sur sa composition. Une étude qui a déjà beaucoup fait parler d'elle et fait la joie des producteurs de céréales pour petit déjeuner, a montré un rôle intéressant des céréales. Les données de l'étude américaine NHANES recueillies entre 1999 et 2000 ont montré une association inverse entre la prise du petit déjeuner et le BMI. Toutefois, en introduisant la prise de céréales petit déjeuner en co-variable, cette association n'existait plus, ce qui semble indiquer que l'association peut être imputée à la prise de céréales plutôt qu'au petit déjeuner (5). Malheureusement, l'étude ne nous dit pas ce que mangeaient les petit déjeuneurs qui ne prenaient pas de céréales... Par ailleurs, une étude antérieure portant sur le lien entre le BMI et différents types de petit déjeuner souligne que les féculents jouent en général un rôle positif. En effet, les participants qui sautaient le petit déjeuner ou qui prenaient de la viande ou des oeufs à ce repas, affichaient un BMI plus élevé. Par contre, un petit déjeuner constitué de céréales prêtes à consommer, de céréales cuisinées ou de pain, était associé à un BMI plus faible (6). Une autre étude menée auprès de filles de 9 à 19 ans montre que le profil nutritionnel de celles qui prennent un repas le matin est meilleur. En effet, l'apport journalier en calcium et en fibres est plus élevé pour tous les petits déjeuners, et la prise de céréales en particulier est liée à un apport supérieur en fer, acide folique, vitamine C et en zinc, ainsi qu'en un apport plus faible en lipides et en cholestérol (7).
Une habitude inadaptée
On dispose également de certaines données intéressantes à propos du petit déjeuner chez des personnes souffrant de troubles alimentaires ou s'adonnant à un régime. Ainsi, parmi 173 personnes souffrant de « binge eating disorder », ceux qui pesaient le moins consommaient plus souvent un petit déjeuner et des collations. Moins d'une personne sur deux prenaient un petit déjeuner et ceux qui prenaient au moins trois repas par jour pesaient moins et avaient moins d'épisodes d'hyperphagie que les autres (8). Une autre étude s'est penchée sur la pratique des régimes (en vue de perdre du poids) chez les adolescents et sa relation avec les changements de BMI, s'étalant sur une période de cinq ans. Chez les filles, être au régime au début de l'étude constituait un risque accru de crises d'hyperphagie et de moindre consommation du petit déjeuner au terme de l'étude. Chez les garçons, cette pratique était liée à l'hyperphagie mais aussi à une moindre activité physique. Chez les deux sexes, ces comportements étaient aussi associés à une augmentation du BMI entre le début et la fin de l'étude (9).
Le lien entre le petit déjeuner et le poids corporel, mis en évidence par ces nombreuses recherches, suscite bien des questions. Le seul fait de prendre un petit déjeuner permet-il en soi de se prémunir du surpoids, ou faut-il y voir le reflet d'un souci de bien s'alimenter et de vivre sainement qui se répercute sur le poids corporel? Le plus grand pourcentage de saut du petit déjeuner parmi les personnes au régime et souffrant de troubles alimentaires reste à confirmer. Malgré tout, les résultats dont on dispose semblent indiquer que le saut du petit déjeuner n'est pas une stratégie adéquate pour gérer son poids. Il pourrait même être associé à d'autres comportements alimentaires problématiques (hyperphagie, grignotage, déséquilibres alimentaires), sans toutefois que l'on puisse déterminer si l'absence de petit déjeuner est plutôt une cause ou une conséquence de tels comportements. Enfin, si rétablir le petit déjeuner chez les personnes qui n'en prennent pas peut se présenter comme une solution pour ré-équilibrer l'alimentation, limiter le surpoids et mieux contrôler les troubles alimentaires, ceci demande encore à être confirmé par des recherches rigoureuses.
Magali Jacobs, Diététicienne
Références
1) De Vriese S et al. Enquête de consommation alimentaire Belge 1 - 2004: Synthèse. Institut Scientifique de Santé Publique, mars 2006, Rapport: D/2006/2505/15. (2) Niemeier HM et al. J Adolesc Health 2006; 39: 842-9. (3) Utter J et al. J Am Diet Assoc 2007; 107: 570-6. (4) Dubois L, Girard M, Potvin Kent M. Public Health Nutr 2006; 9: 436-42. (5) Song WO et al. J Am Diet Assoc 2005; 105: 1373-82. (6) Cho S et al. J Am Coll Nutr 2003; 22: 296-302. (7) Barton BA et al. J Am Diet Assoc 2005: 105; 1383-9. (8) Masheb RM, Grilo CM. Behav Res Ther 2006; 44: 1545-53. (9) Neumark-Sztainer D et al. J Am Diet Assoc 2007; 107: 448-55.