Prévenir plutôt que guérir. C'est presque une lapalissade. Et pourtant, dans la pratique, la place occupée en médecine et en nutrition par la prévention était encore fort marginale jusqu'à aujourd'hui. Mais c'était, précise le Professeur Jean Nève, président de l'Institut de Pharmacie de l'ULB, avant que l'OMS que ne tire la sonnette d'alarme et soit suivie par la Commission Européenne et certains de ses Etats Membres, dont la Belgique qui lançait en 2005 son Plan National Nutrition et Santé, précédé il est vrai par d'autres dispositions communautaires. Mais face à la prévention, un véritable dilemme existe. On sait tous quoi faire, mais comment le faire ? De la science à l'action, le symposium de l'Unilever Health Institute dresse un intéressant état des lieux.
Guérir: l'antidote à tous les maux?
Pour le Dr Dominique-Jean Bouilliez, directeur médical du Journal du médecin, le mode de vie est un acteur incontournable de la prévention dans la pratique médicale. Signe des temps, un nouveau journal est venu enrichir en janvier 2007 la déjà abondante littérature médicale. Son nom : American Journal of Lifestyle Medicine ! Une publication qui devra en appeler d'autres, tant la gestion et la prévention des facteurs de risque demeurent inadéquates en Europe, comme l'ont démontré encore récemment les études Euroaspire I et II. Entre traitement, prolongation du traitement, modification de traitement, examens complémentaires... la pratique médicale actuelle semble un peu muette en termes de prévention. Y aurait-il une sous-estimation du risque, notamment du risque cardio-vasculaire à 10 ans ? C'est en tout cas ce qu'a laissé présagé une enquête suédoise récente conduite auprès de 80 généralistes. Entre la perception du praticien et le calcul réel du risque, la marge est grande... Autre étude, autre constat étonnant dans l'étude REACT (Reassessing European Attitudes about Cardiovascular Treatment) conduite dans 5 pays européens. Seulement 13 % des médecins interrogés utilisent toujours les diagrammes de risque pour évaluer le risque cardio-vasculaire de leurs patients. Le manque de temps arrive en tête des barrières à l'implémentation de ces recommandations...
Les raisons d'y croire
Et pourtant, l'efficacité de la prévention est une réalité, en particulier dans un contexte fortement obésogène. D'après le Professeur Colleen Doak, de l'Université d'Amsterdam, les interventions nutritionnelles ont fait leurs preuves, par exemple dans le cadre de programmes scolaires de prévention du surpoids et de l'obésité. Son analyse de la littérature est sans ambiguïté : plus de 60 % aboutissent à des résultats significatifs sur l'indice de masse corporelle et les plis cutanés. Parmi les mesures préconisées, des recommandations simples à suivre et un nombre limité de facteurs : réduire le temps passé devant les écrans, miser sur les jeux actifs à l'école ou encore limiter la consommation de boissons sucrées. L'effet de la prévention est également manifeste sur la société lorsqu'il se concentre sur l'activité physique, souligne le Prof. Olli Heinonen, du UKK Institute for Health Promotion Research, Tampere, Finlande. Les liens les plus concluants ont été observés entre un faible niveau d'activité et les cancers du côlon et du sein, les maladies cardiovasculaires, les accidents cérébrovasculaires, la maladie d'Alzheimer, le diabète de type 2 ou encore les fractures ostéoporotiques. Le volume d'activité physique pourrait être le meilleur facteur d'explication des bienfaits sur la santé. Celui-ci devrait au minimum être équivalent à une dépense énergétique hebdomadaire de 1 000 kcal (4,1 MJ). Cette intensité correspond approximativement à 40 % de la VO2max, soit l'équivalent de 30 minutes de marche rapide par jour. Selon des études récentes, la « dose » journalière peut cependant être divisée en périodes plus courtes (10 à 15 minutes) sans remettre en cause les bénéfices sur la santé. Enfin, quelques études suggèrent le bien-fondé de l'association des activités de la vie quotidienne à des activités sportives. L'explication est simple : la combinaison produit des volumes plus importants d'activité physique.
De la contemplation à l'action
La prévention d'un problème sociétal (l'obésité et ses dérives) doit cependant s'effectuer à tous les niveaux, dans une perspective multidisciplinaire, avec les professionnels de santé et l'ensemble des acteurs de la société. Comment se traduit-elle à une échelle socio-économique ? Exemples concrets avec HELENA, « Mon risque cardio-vasculaire global », EPODE et VIASANO. Le premier projet, présenté par le Prof Stefaan de Henauw, de l'Université de Gand, est une étude européenne de grande envergure (financé par le « sixième programme-cadre ») conduite auprès de 3 000 adolescents européens (âgés de 13 à 16 ans) sélectionnés uniformément dans 10 villes de 9 pays. Ses principaux objectifs : déterminer les choix et les préférences alimentaires, relever les données anthropométriques, les indicateurs sériques du métabolisme des graisses et du glucose, le statut vitaminique et minéral, les marqueurs immunologiques, l'activité physique, les capacités physiques et les marqueurs génétiques et... intervenir sur les styles de vie. Les premiers résultats sont attendus pour 2008. L'intervention du Prof Benoît Boland, Interniste-Gériatre des Cliniques Saint-Luc, intéressera particulièrement le médecin. Grâce à un organigramme de décision basé sur la table européenne SCORE adaptée à la population belge, le praticien peut avec huit points d'appel, en quelques minutes, dépister le risque cardio-vasculaire global d'un patient de décéder à 10 ans et (ré)agir de manière préventive. Un concept qui a par ailleurs débouché sur la grande campagne « Aime ton coeur », déployée par Becel. Le programme EPODE - Ensemble Prévenons l'Obésité Des Enfants - présenté par Sandrine Raffin, directrice générale Protéines Groupe, implique 113 communes de France et mobilise tous les citoyens en faveur d'un mode de vie plus sain. Articulé autour d'initiatives concrètes de prévention axées sur la nutrition et l'activité physique, il repose sur la participation d'acteurs locaux et place la prévention au coeur du réseau de villes. L'initiative est relayée désormais en Belgique à Mouscron et Hasselt au travers du programme VIASANO (Cf Health and Food n° 81). Les résultats sont espérés d'ici à 2010, mais les deux programmes suscitent déjà l'enthousiasme général.
Les morales du plaisir
Enfin, difficile de conclure cet aperçu de la prévention en Europe sans aborder brièvement un paramètre essentiel (et parfois oublié) à son succès : le plaisir. Le socio anthropologue, Jean-Pierre Poulain, Université de Toulouse Le Mirail, propose de démédicaliser de la prévention de l'obésité. Selon lui, il faut non pas faire référence à la maladie, mais plutôt au bien être et valoriser la culture culinaire et les aspects positifs des modèles alimentaires qui ne favorisent pas l'obésité. Ceci ne veut pas dire exclure les connaissances issues des sciences de la nutrition des programmes d'éducation, mais les inclure dans les dimensions socioculturelles de l'alimentation, sans dédaigner le plaisir, finalement peut-être, le seul véritable moteur de l'humanité...