Dans la casserole comme dans l'organisme, les glucides sont impliqués dans de nombreuses réactions dites de glycation. L'une d'entre elles est la réaction de Maillard (1), qui consiste en un ensemble de réactions successives impliquant au départ une liaison entre un sucre réducteur (glucose, fructose, ribose, xylose...) et une fonction amine, principalement sous l'action de la chaleur. La réaction de Maillard ou brunissement non enzymatique forme des molécules responsables du développement d'arômes caractéristiques dans les aliments, dont l'exemple le plus connu est celui de la croûte du pain. Cette réaction est donc plutôt recherchée, gastronomiquement parlant. Mais les produits finaux de la réaction de Maillard ou d'autres réaction impliquant des sucres comme la caramélisation, sont appelés produits finaux de la glycation ou AGE's (Advanced Glycation Endproducts). Ils sont d'origine exogène et endogène, et n'ont pas vraiment bonne presse du point du vue de la santé.
Production endogène
Les AGE's peuvent également se former dans l'organisme, lorsqu'un sucre réducteur rencontre une fonction amine. L'hyperglycémie est un facteur qui favorise grandement ces réactions, en raison du taux élevé de glucose circulant. Les diabétiques, ou du moins ceux dont la glycémie est mal contrôlée, sont donc plus susceptibles de produire des AGE's. Mais le fructose est également un substrat potentiel pour la formation de ces produits. Une étude a comparé le taux plasmatique d'AGE's de sujets sains, végétariens ou non (2). A la grande surprise des chercheurs qui pensaient que les AGE's seraient liés à la consommation de produits carnés, les végétariens avaient un taux d'AGE's plus élevé que les autres. Ceci était probablement dû... à leur plus grande consommation de fructose, qui semble réagir plus facilement pour former des AGE's.
Rôle des AGE's dans les complications du diabète
On sait que les AGE's sont associés aux complications de la pathologie diabétique, comme les dysfonctions rénales et vasculaires, mais les mécanismes sous-jacents sont complexes. Premier en cause: la glycation de protéines intra- et extra-cellulaires, favorisée par l'hyperglycémie. Pour rappel, l'hémoglobine glycatée dosée pour mesurer le contrôle de la glycémie chez les patients diabétiques, n'est autre qu'une molécule d'hémoglobine dont un acide aminé a subi une glycation. D'autres substrats comme les lipides et l'ADN sont également matière à la formation d'AGE's. Celle-ci est liée à une production accrue de radicaux libres, tenus en partie pour responsables des complications du diabète. Mais ce n'est pas tout. Les AGE's circulants s'accompagnent de récepteurs (RAGE's) fixés sur bon nombre de cellules, et en particulier sur celles qui sont impliquées dans les complications du diabète. De nombreuses études ont été menées pour élucider les effets de la fixation des AGE's à ces récepteurs, et leurs résultats indiquent que cette interaction serait à la base d'altérations au niveau du fonctionnement intra-cellulaire, de l'expression des gènes, de la libération de molécules pro-inflammatoires et de radicaux libres. L'ensemble contribuerait fortement au développement des complications diabétiques telles que la rétinopathie, la cataracte, l'athérosclérose, la neuropathie ou la néphropathie (3).
Elimination partielle
Des chercheurs ont comparé l'effet d'un repas riche en AGE's (comprenant entre autres un blanc d'oeuf cuisiné avec du fructose, cuit à 90°C pendant 1 à 3 heures) à un repas normal (composé d'un blanc d'oeuf cuisiné seul), chez des patients diabétiques avec ou sans néphropathie (4). Des prélèvements de sang et d'urine étaient réalisés à intervalles réguliers après le repas. L'absorption des AGE's a été évaluée à environ 10%. Par rapport au repas classique, le repas riche en AGE's provoquait une élévation du taux plasmatique d'AGE's proportionnelle à la quantité ingérée. L'excrétion urinaire des AGE's s'élevait à 30% de la quantité circulant dans le plasma chez les patients sans néphropathie, mais pouvait descendre à 5% chez les patients avec néphropathie, et pour ces derniers elle était corrélée à la clearance à la créatinine. Ceci montre que les AGE's sont éliminés par voie urinaire, mais pas en totalité. Les patients présentant des troubles rénaux affichent donc une rétention beaucoup plus importante des AGE's, qui peuvent contribuer à l'aggravation de leur pathologie. Par conséquent, les auteurs de l'étude recommandent une limitation des AGE's dans l'alimentation des patients souffrant d'une néphropathie diabétique.
Limiter les apports alimentaires?
L'utilité d'une restriction des AGE's dans l'alimentation n'a pas encore été démontrée. Toutefois, au vu des études dont on dispose, la prudence s'impose dans le cas des patients diabétiques et particulièrement ceux qui présentent des complications rénales. Limiter la formation endogène d'AGE's, en maîtrisant bien la glycémie, est indiscutablement la première mesure à prendre. Ensuite, les recherches sur les AGE's ne peuvent que soutenir les recommandations de limiter le sucre ajouté dans l'alimentation, ce qui vaut non seulement pour les diabétiques mais également pour la population générale. L'utilisation du fructose dans les produits pour diabétiques estégalement remise en question, mais ceci est selon nous à cent lieues de justifier une limitation de la consommation de fruits et légumes, par ailleurs sources de différents micro-nutriments et anti-oxydants précieux. Enfin, il peut sembler plus sage d'adapter son mode de cuisson des aliments, ce qui ne veut pas dire qu'il faut désormais tout cuisiner à l'eau... On peut conseiller aux adeptes des grillades et des fritures de les alterner avec d'autres cuissons plus douces, telles que l'eau bien sûr, mais aussi la cuisson au four ou à la vapeur.
Magali Jacobs, Diététicienne
Références :
(1) Machiels D & Istasse L. Ann. Méd. Vét. 2002; 146: 347-52.
(2) Krajcovicova-Kudlackova M et al. Physiol Res 2002; 51: 313-6.
(3) Ahmed N. Diabetes Res Clin Pract 2005; 67: 3-21.
(4) Koschinsky T et al. Proc Natl Acad Sci USA 1997; 94: 6474-9.
(5) Goldberg T et al. J Am Diet Assoc 2004; 104: 1287-91.