Le petit déjeuner, acteur ou marqueur de santé

10/06/2006
Article

La relation entre petit-déjeuner et performances a longtemps été attribuée à l'effet de ce repas sur la glycémie. S'il est vrai qu'après une nuit de jeune, l'organisme a épuisé ses réserves glucidiques, les glucides ne sont cependant pas les seuls nutriments en cause. Ainsi, une étude effectuée chez des personnes âgées a comparé les effets de différents nutriments pris séparément, en comparaison avec un placebo dépourvu d'apport calorique (1). Il apparaît clairement que seuls les glucides augmentent la glycémie, mais cette étude révèle aussi que chaque nutriment peut apporter certaines améliorations dans les tests cognitifs. Les glucides donnent un meilleur score au Trail Making Tests (qui consiste à repérer, sur une feuille, des chiffres ou lettres qui se suivent) ; alors que les lipides marquent une amélioration de l'attention après 60 minutes, et qu'avec les protéines on note moins d'oubli d'un paragraphe après 15 minutes. Cette expérience suggère donc que chaque nutriment peut être d'une certaine utilité et que c'est une bonne raison pour qu'un petit déjeuner soit composé d'une combinaison de nutriments, donc complet et varié.

Petit déjeuner et poids

Le poids est devenu LE sujet pour lequel le petit déjeuner fait régulièrement valoir ses atouts. La relation est toutefois loin d'être simple, et devient moins évidente lorsque l'on tient compte d'autres paramètres, comme le niveau d'activité physique, d'éducation, le temps passé de la télé... Une étude portant sur plus de 14000 écoliers âgés de 9 à 14 ans suivis pendant 3 fois 1 an rapporte, comme bien d'autres travaux, que le saut du petit-déjeuner est associé à un surpoids, et cela malgré un apport calorique plus élevé (2). Mais la relation entre petit-déjeuner et évolution du poids n'est pas la même chez tous les enfants : les enfants de poids normal qui sautent le petit-déjeuner grossissent plus vite que ceux qui le prennent. Par contre, les enfants obèses qui ne prennent pas de petit-déjeuner grossissent moins que ceux qui en prennent un... Des données qui suggèrent que face à l'obésité, le petit-déjeuner aurait un rôle plus préventif que curatif... Une revue incluant 47 études portant sur des enfants ou des adolescents confirme que la prise d'un petit déjeune reste associée à plusieurs éléments positifs : le profil nutritionnel des « petit-déjeuneurs » est meilleur que ceux qui délaissent ce repas, et leur probabilité d'être en excès de poids est plus faible, malgré un apport calorique plus important au cours de la journée (3). Les fonctions cognitives sont également meilleures chez les adeptes du premier repas, et le taux d'absentéisme plus faible.

Contexte familial et socio-économique

En Europe, 10 à 30 % des jeunes sautent régulièrement le petit-déjeuner. Le « décrochage » est particulièrement important chez jeunes adolescentes. Le phénomène mérite que l'on s'y penche de plus près, et c'est ce qu'a fait une équipe finlandaise, auprès de 5448 jeunes filles de 16 ans et de leurs parents (4). Il en ressort que le principal facteur associé la prise du petit-déjeuner chez ces adolescentes est... le fait que les parents prennent ce repas. Les aspects socio-économiques apparaissent, pour le petit-déjeuner comme bien d'autres aspects de l'alimentation, jouer un rôle important. C'est ce que rapporte notamment d'une étude canadienne réalisée auprès de 1549 enfants de 4 ans, comprenant un entretien détaillé réalisé avec les parents. Les résultats montrent que le pourcentage d'enfants qui ne prennent pas de petit déjeuner tous les jours est plus élevé si la mère est immigrée (19,4 %) que non-immigrée (8,3%), sans diplôme supérieur (17,5 %) qu'avec (10 %), que les revenus sont inférieurs à 40 dollars par jour (15%) que s'ils sont plus élevés (5-10 %). Elle indique en outre que la probabilité d'être obèse est deux fois plus élevée chez les enfants qui ne prennent pas de petit déjeuner. Cette étude souligne que s'il est entièrement justifié de plaider en faveur d'un petit-déjeuner équilibré quotidien et d'en faire la promotion, de telles actions devraient pouvoir atteindre avant tout les milieux socio-économiques inférieurs.

Chrono-calories

Le fait que les adeptes du petit-déjeuner affichent généralement un indice de masse corporelle (BMI) plus bas que ceux qui font régulièrement l'impasse sur ce repas, malgré un apport calorique plus élevé, peut sembler paradoxal en regard des principes la thermodynamique classique. Ceci peut s'expliquer en partie par des besoins énergétiques plus importants dans la mesure où les petit-déjeuneurs affichent souvent un niveau d'activité physique plus élevé. Mais ce n'est pas tout, et les calories ingérées au cours de la journée pourraient ne pas être toutes équivalentes en fonction de l'heure... Une expérience menée selon un schéma cross-over consistait à faire prendre à 10 femmes pendant une période de 14 jours chacune, un petit déjeuner (céréales + lait) le matin ou, pendant la seconde période, entre 12 et 13.30 h (5). La composition des repas était rigoureusement la même, seule l'heure de consommation différait. Les autres repas de la journée étaient également similaires. Les résultats sont assez surprenants... D'abord, les auteurs relèvent que l'énergie ingérée au cours de la période « petit-déjeuner matinal » est significativement plus faible que lorsque le repas est pris à midi. Les chercheurs ont également suivi la réponde insulinique suite à un repas test au terme de chaque période, et la réponse insulinique est significativement plus faible lorsque le petit-déjeuner est pris le matin. L'expérience met également en lumière un taux de cholestérol total et de cholestérol LDL mesuré à jeun significativement plus élevé au cours de la période « petit-déjeuner à midi »

 

Le monde bouge

 

Cette expérience suggère donc bel et bien que le seul fait de modifier l'horaire de la prise alimentaire entraîne des répercussions métaboliques, et non des moindres, puisqu'elles concernent des domaines aussi importants que l'obésité, les maladies cardiovasculaires ou le diabète de type 2. L'évolution du style de vie, qui comprend une déstructuration des repas avec une augmentation des prises alimentaires hors domicile, où l'individu est de plus en plus confronté à des signaux capables de réveiller l'appétit, même sans véritable faim, où le petit-déjeuner n'est plus une institution pour de nombreux jeunes, qui lui préfèrent de plus en plus une collation matinale de composition douteuse, sont autant de signes qui devraient amener les professionnels de la santé non seulement à prôner le petit-déjeuner dans le schéma alimentaire, mais aussi à réfléchir à la manière la plus adéquate pour que les discours se traduisent en actes.

 

Nicolas Guggenbühl, Diététicien Nutritionniste
Références : (1) Kaplan et al. Am J Clin Nutr 2001. (2) Berckey CS et al. Int j Obes Relat Metabol Disord 2003. (3) Rampersaud GC etal. J Am Diet Assoc 2005. (4) Keski-Rahkonen A et al. Eur J Clin Nutr 2003 (5) Farshchi HR et al. Am J Clin Nutr 2005. . 




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