Pour bien des citoyens, le soja évoque avant tout les « jets de soja », qui n'ont rien à voir avec le soja jaune, riche en protéines, à la base d'une filière de plus en plus importante de produits. Pour les professionnels de la santé, le soja a surtout fait parler de lui dans le domaine du cholestérol : c'est d'ailleurs bien en raison de l'effet hypocholestérolémiant de ses protéines que le soja bénéficie d'une allégation de santé aux Etats-Unis (accordée par la Food and Drug Administration américaine en 1999) et au Royaume-Uni (accordée par le Joint Health Claims Initiatives en 2002). Bien que plusieurs travaux aient conduit à revoir un peu à la baisse cet effet hypocholestérolémiant (qui s'élève à 3 à 5 % de réduction du cholestérol LDL), le Prof Mark Messina (Loma Linda University, USA) souligne que c'est significatif au niveau de la population : on estime en effet qu'une diminution de 1 % du LDL peut réduire le risque de maladie coronarienne de 2 à 4 %.
Mcaanismes en vue
Pendant longtemps, la question de savoir qui, des protéines du soja ou de ses isoflavones, jouait le rôle le plus important dans cet effet hypocholestérolémiant. Les scientifiques semblent désormais considérer que les phytoestrogènes n'y sont pas pour grand-chose. C'est en tout cas l'avis du Prof Cesare Sirtori (Université de Milan, Italie), pour qui c'est uniquement les protéines de soja, en particulier certains de leurs composants (globulines 7S), qui agissent sur le taux de LDL, notamment en activant le système des récepteurs aux LDL. Les isoflavones ne sont pas pour autant écartées du domaine cardiovasculaire. Une expérience menée chez l'homme par Ken Setchell (Children's Hospital & Medical Center, Cincinnati, USA) montre que l'administration, pendant 4 semaines, de pâtes (de blé) enrichies en isoflavones entraîne une réduction significative de la cholestérolémie, par rapport à l'administration de pâtes dépourvues d'isoflavones
En marge du cholestérol
Pour les auteurs, ces résultats, confrontés à ceux qui ne retrouvent pas d'effet hypocholestérolémiant pour les isoflavones administrés seules, suggèrent que les isoflavones agissent différemment - et plus efficacement - lorsqu'elles sont dans un contexte alimentaire. Les auteurs rapportent également une amélioration du marqueur de l'inflammation, la CRP, ainsi que de la dilatation dépendante de l'endothélium, autant de signes favorables à la fonction cardiovasculaire. Le fait que la génistéine, la principale isoflavone du soja, soit aussi dotée de propriétés antioxydantes constitue une autre caractéristique susceptible d'apporter sa contribution à la protection cardiovasculaire. Cela pourrait expliquer le fait qu'un régime à base de soja provoque une augmentation de la résistance des LDL à l'oxydation. Les travaux de Matti Tikkanen (Université de Helsinki, Finlande), montrent que l'incubation de génistéine avec du plasma entraîne la formation de dérivés hydrophobes capables d'être incorporés dans les particules LDL.
La cataracte en vue
Le soja et ses consistants font l'objet de recherches, notamment le cas du cancer du sein et de celui de la prostate, de la santé osseuse, des symptômes associés à la ménopause et des fonctions cognitives (en particulier chez les femmes ménopausées). Cette aire de recherche ne cesse de s'élargir, et s'étend désormais jusqu'aux yeux. Cette nouvelle porte, ouverte par le Prof Stephen Barnes (University of Alabama, Birmingham, USA) et ses collaborateurs, porte sur la capacité antioxydante de la génistéine du soja. Les phénomènes oxydatifs sont pressentis depuis longtemps comme un élément déterminant dans le développement de la cataracte. On s'accorde à considérer que le développement de la cataracte implique des modifications des protéines du cristallin induites par les rayons ultraviolets. L'oeil dispose, entrez autre système de protection, d'une présence d'antioxydants dans l'humeur aqueuse, en particulier la vitamine C, qui s'y trouve à une concentration 10 fois plus élevée que dans le sang. Mais en matière d'antioxydants, il apparaît de plus en plus évident que les synergies entre différents acteurs sont d'une grande importance. Ainsi, l'activité antioxydante de la vitamine C en présence de génistéine est plus du double de la somme de l'activité antioxydante de ces deux composés mesurée séparément.
Les christallines préservées
Barnes a mené plusieurs expériences soutenant l'hypothèse d'un effet protecteur de la génistéine dans la cataracte. L'une d'entre elles porte sur des singes macaques qui ont été nourris, pendant 30 jours, soit avec un régime riche en protéines de soja, soit avec un régime contrôle qui en est dépourvu. Les chercheurs ont examiné l'évolution des principales protéines du cristallin (les cristallines alpha, bêta et gamma). Dans le groupe contrôle, il y a une perte progressive des cristallines alpha et bêta qui survient en fonction de l'âge. Par contre, le groupe nourri au soja garde intactes ces protéines qui jouent un rôle important dans le maintient de la solubilité des protéines du cristallin. Dans une seconde étude, Barnes a nourri des rats avec une ration classique enrichie en génistéine pour les uns, dépourvue de génistéine pour les autres. L'analyse de l'humeur aqueuse révèle la présence de génistéine pour le groupe qui en a reçu, alors qu'elle n'est pas détectable dans l'autre groupe. Bref, la génistéine administrée par voie orale peut rejoindre l'oeil. La génistéine n'est pas la seule candidate pour la protection des yeux. Des travaux antérieurs menés sur des rats qui développent rapidement de la cataracte, ont montré que l'administration d'extraits de raisin retarde de 27 jours l'apparition des lésions, qui surviennent entre la 11e et 12e semaine chez les animaux contrôles. Bien que ces travaux ne concernent pour l'heure que des animaux et que des études humaines seront indispensables pour vérifier cette hypothèse, il s'agit là d'une piste prometteuse qui pourrait avoir des répercussions non négligeables sur la qualité de la vision, donc de la vie.
Isoflavones et bouffées de chaleur : pour ou contre ?
Est-il judicieux de préconiser des aliments au soja ou des isoflavones sous forme de compléments pour atténuer les bouffées de chaleur liées à la ménopause ? Mais pour Mark Messina (Loma Linda University, USA), qui est probablement la personne avec la plus grande connaissance sur le soja et la santé, la réponse est « oui ». Sur base des 42 études cliniques réalisées avec du soja, des isoflvavones de soja ou du trèfle rouge, chez des femmes en péri ou postménopause, Messina estime que malgré des résultats inconsistants, ils suggèrent dans leur ensemble l'existence d'un bénéfice au moins modeste. Une position qui n'est pas partagée par tous les scientifiques, et tant qu'il n'y a pas de consensus, le débat est loin d'être terminé...
Nicolas Guggenbühl, Diététicien Nutritionniste .
* Soy & Health 2006. Clinical evidence - Dietetic applications. Düsseldorf, 12-13 octobre 2006.