Plus de deux mille deux cents publications scientifiques depuis 2000, contre moins de 500 au cours des 20 années précédentes ! Le moins que l’on puisse dire, c’est que les recherches sur les probiotiques connaissent un fameux coup d’accélérateur. Ce monde du vivant que les scientifiques cherchent à apprivoiser est de plus en plus pressenti comme une partenaire de choix pour la santé, et un facteur d’équilibre dans un monde de plus en plus aseptisé. La théorie hygiéniste, selon laquelle la diminution de l’exposition aux germes dans notre mode de vie moderne s’accompagnerait d’une augmentation des phénomènes allergiques et des maladies auto-immunitaires, est plus que jamais d’actualité.
Réponse immunitaire
Les expériences récentes suggèrent que les bactéries de la flore intestinale interagissent avec les « toll-like » récepteurs (TLR) pour induire l’équilibre de la réponse immunitaire. On sait que le système immunitaire du nouveau-né est immature, et qu’il se caractérise notamment par une réponse déséquilibrée des lymphocytes T helper 2 (Th2) supérieure à celle des Th1. Les bactéries probiotiques pourraient participer à orienter la réponse immunitaire du nouveau-né à un moment ou la réponse immunitaire se met en place et avant qu’un déséquilibre de la réponse des Th2 ainsi qu’un manque de systèmes de régulation ne soient installés, et qu’elle n’engendre des réactions allergiques inflammatoires du type eczéma atopique.
Eczéma moins sévère
Les enseignements de la recherche fondamentale ont mis récemment en lumière plusieurs effets bénéfiques des bactéries probiotiques : normalisation de la perméabilité intestinale, augmentation des fonctions protectrices de la barrière intestinale et diminution de la réponse inflammatoire avec réduction de la production des cytokines pro-inflammatoires. Les nouvelles données cliniques viennent consolider le rôle des probiotiques dans cette maladie allergique. Ainsi, les travaux de S Weston menés auprès d’enfants âgés de 6-18 mois présentant un eczéma atopique de forme modérée à sévère ont montré que l’administration d’un probiotique (Lactobacillus fermentum VRI-033 PCC) améliorait la sévérité et l’étendue de l’eczéma chez 92 % des enfants, contre 63 % dans le groupe contrôle.
Diarrhée plus courte
Les bénéfices des probiotiques dans les diarrhées infectieuses de l’enfant et du nourrisson sont aussi de mieux en mieux étayés. Deux études effectuées auprès d’enfants vivant en communauté en attestent. Dans la première, la consommation d’un lait fermenté avec un Streptococcus thermophilus et un Lactobacillus bulgaricus (soit les 2 ferments du yaourt) et Lactobacillus casei DN-114-001 permet de réduire la durée des événements diarrhéiques avec un gain de 3 jours par rapport à la prise d’un lait gélifié (sans probiotique), et d’un jour par rapport à la consommation de yaourt standard.
Une des difficultés majeures dans le domaine des probiotiques réside dans le fait que derrière ce terme unique se trouvent des souches qui peuvent avoir des effets spécifiques, et l’on ne peut pas attribuer les bénéfices de l’une à une autre. Ainsi, Weizman Z et al ont comparé récemment 2 souches de probiotiques, Lactobacillus reuteri et Bifidobacterium BB-12, à un placebo, chez des enfants de 4 à 10 mois en crèche. Les deux groupes probiotiques affichent une incidence moindre des épisodes fébriles, diarrhéiques et se caractérisent par une durée plus courte de la diarrhée. Mais dans le groupe Lactobacillus reuteri, on observe une diminution significative du nombre de jours de fièvre, de visites médicales, d’absentéisme à la crèche et de prescriptions antibiotiques par rapport au groupe placebo et au groupe Bifidobacterium BB-12.
Pour ce qui est de la diarrhée induite par les antibiotiques, le probiotique le plus étudié est la levure Saccharomyces boulardii, qui a fait l’objet d’une récente meta-analyse. Celle-ci montre que sur 10 sujets recevant le probiotique, moins d’un d’entre eux sera victime de diarrhée (Szajewska H et al.). Une étude effectuée chez l’enfant avec un Bifidobacterium lactis et un Streptococcus thermophilus rapporte également une réduction de l’incidence de ces pathologies (Correa NB et al.).
Calmer le feu
Les maladies inflammatoires du grêle sont un autre terrain de prédilection des probiotiques. Les récents travaux de O’Mahony ont testés 2 probiotiques, Lactobacillus salivarius et Bifidobacterium infantis chez des patients atteints d’un syndrome de l’intestin irritable. Outre l’amélioration des symptômes dans les deux groupes probiotiques, mais significativement plus importante avec le Bifidobacterium, l’étude met en lumière des variations de cytokines inflammatoires : sans probiotiques, les patients présentaient un taux IL-10/IL-12 de type pro-inflammatoire, et ce taux se voit normalisé dans le groupe recevant le Bifidobacterium infantis, par rapport au contrôle. Des résultants plus qu’encourageants, d’autant que l’on reconnaît qu’une faible inflammation de la muqueuse intestinale peut s’installer chez certains patients atteints du syndrome de l’intestin irritable.
Des avancées significatives apparaissent également dans les maladies inflammatoires digestives telles que la maladie de Crohn, la recto-colite ulcéro-hémorragique (RCUH) et, surtout, dans les pochites. Ainsi, chez des patients recevant un mélange probiotique (VSL #3 contenant Lactobacillus casei, Lactobacillus plantarum, Lactobacillus acidophilus, Lactobacillus delbreuecki, Bifidobacterium longi, Bifidobacterium breve, Bifidobacterium infantis et Streptococcus salivarius), le taux de rechutes n’est que de 15 %, alors qu’il est de 94 voire 100 % chez ceux ayant reçu le placebo (Gionchettu P et al.). Différents probiotiques testés dans le cadre de la RCUH rapportent une efficacité comparable des bactéries probiotiques au traitement standard médicamenteux.
Flore et obésité
C’est dans un tout autre domaine, celui de la problématique de l’obésité, qui vient de s’ouvrir une nouvelle porte pour la recherches sur les rôles de la flore intestinale et les probiotiques. Ainsi, les travaux du Pr J Gordon (Directeur du Centre des Sciences du Génome à l’Université de Washington, USA) et son de s équipe ont révélé que les souris axéniques (sans flore) nées et maintenues dans un environnement stérile ingèrent significativement plus de nourriture (près de 30 % en plus) que des souris « contrôle ». Mais ce qui retient l’attention des chercheurs, c’est que malgré cette consommation plus élevée, les souris axéniques présentent une masse graisseuse nettement inférieure (de 42 %) à celle des souris « contrôle ».
Voilà donc, pour la première fois, la possibilité d’établir un lien entre la flore intestinale et les réserves adipeuses. L’hypothèse formulée actuellement par les chercheurs impliquerait la protéine Fiaf (fasting-induced adipocyte factor) qui intervient dans le stockage des graisses : il est possible que certaines bactéries soient capables de réprimer l’expression de cette protéine. Si on est encore bien loin du probiotique qui fait maigrir, il n’est désormais pas impensable que des modulations de la flore intestinale puisse exercer un effet sur le poids.
Nicolas Guggenbühl
Diététicien Nutritionniste
4e Convention internationale sur les probiotiques, organisée par Danone à Paris, les 9 et 10 mars 2006.