Comment expliquer le tel succès des « anticholestérols » que sont les aliments enrichis en stérols et stanols végétaux? La première explication réside peut-être dans le contexte actuel de santé. Les maladies chroniques, et les maladies cardio-vasculaires en premier, constituent toujours le principal problème médical à l’aube du 21e siècle. Le coût du traitement traditionnel de ces affections est en train de « ruiner » allègrement les bases financières des systèmes de soins de santé à travers le monde. Cette situation est assez paradoxale, dans la mesure où la plupart de ces pathologies sont avant tout tributaires de notre mode de vie. Or, les mesures qui visent à modifier ce style de vie se révèlent systématiquement les plus attractives, en termes de coût/efficacité, dans la prévention et l’approche thérapeutique.
A côté de l’activité physique, la stimulation du changement de comportement alimentaire joue un rôle majeur dans l’adoption d’un mode de vie « santé ». Malheureusement, cette approche, pour être efficace à grande échelle, doit idéalement s’inscrire dans la durée et nécessite aussi une implication globale de la société (industrie, médecine, distribution, politiques…). C’est pourquoi l’approche qui consiste à « transformer » l’aliment pour le rendre plus fonctionnel apparaît aujourd’hui très séduisante. Elle concerne les aliments enrichis naturellement en oméga-3, les probiotiques, les prébiotiques… et les aliments enrichis en stérols ou stanols végétaux. Cependant, cette analyse socio-médico-économique n’explique pas tout.
Scientifiquement prouvé
La force des aliments fonctionnels, et des phytostérols dans le cas qui nous intéresse ici, est certainement de pouvoir s’appuyer sur des bases scientifiques exceptionnelles, à l’instar de ce qui est fait pour les médicaments. Cet aspect est important dans la mesure où il garantit, tout du moins en partie, la caution bienveillante du monde médical. Plusieurs centaines d’études attestent aujourd’hui de l’effet hypocholestérolémiant des stérols et stanols végétaux. On connaît la dose efficace (de l’ordre de 2 g par jour, au-delà de 3 g, on observerait un effet plateau) et les mécanismes d’action sont de mieux en mieux identifiés.
D’abord, les esters de stanols et de stérols végétaux sont dégradés en stérols libres et en acides gras dans l’intestin. Certains stérols libres et cholestérol coprécipitent pour former des particules insolubles qui sont excrétées. D’autres stérols libres et le cholestérol forment des micelles, dont l’incorporation entérocytaire est diminuée. La compétition avec les stérols libres signifie donc que le cholestérol est absorbé en plus faible quantité. Mais l’effet ne s’arrête pas là. Les stérols et stanols végétaux augmente légèrement l’expression de l’ABC transporter au niveau de l’entérocyte, ce qui diminue fortement leur traversée à ce niveau aussi.
Le métabolisme du cholestérol est tout autant affecté : on observe en premier lieu une diminution de l’incorporation du cholestérol dans le foie via les chylomicrons. Le foie augmente dès lors sa synthèse enzymatique de cholestérol, mais celle-ci est compensée par une augmentation du nombre de ses récepteurs au LDL. L’effet global est une réduction des taux de cholestérol total d’environ 10 % et de LDL-cholestérol de près de 15 %, tant pour les stanols que les stérols, après seulement 2 à 3 semaines, dans le cadre d’un régime adapté. Une action dont l’efficacité est prouvée à court terme et à long terme et qui n’est pas influencée par la fréquence de consommation (1, 2 ou 3 prises par jour par exemple).
Un bon cœur de cible
L’intérêt des aliments enrichis en phytostérols est aussi de conjuguer des actions auprès d’une large cible de patients. Ils réduisent le taux de cholestérol à la fois chez les personnes présentant une hypercholestérolémie modérée que chez les enfants atteints d’hypercholestérolémie familiale, les diabétiques de type 2 ou les patients sous statines. L’effet hypocholestérolémiant des stérols végétaux se veut par ailleurs complémentaire de l’administration de cette classe de médicaments, à condition évidemment d’adopter une alimentation pauvre en matières grasses.
Il semblerait aussi qu’il pourrait exercer une influence favorable, comme les statines, sur la fonction endothéliale, mais ces résultats doivent être confirmés. Certaines études montrent par ailleurs leur utilité chez les personnes en excès de poids au régime et traités par fibrates. L’action est observable aussi bien chez la femme que chez l’homme.
Enfin, des questions ont été posées récemment sur l’efficacité des aliments enrichis en phytostérols pauvres en matières grasses comme les yaourts ou les fromages frais. Une interrogation assez logique dans la mesure où les esters de stanols et de stérols sont solubles dans les graisses. Des inquiétudes qui ont été surmontées par la publication de plusieurs travaux scientifiques récents démontrant la conservation de l’efficacité de ces produits dans ce type de produits laitiers.
Les seules incertitudes qui entourent encore aujourd’hui l’impact des phytostérols pour la santé sont liées à l’absorption d’une petite fraction de stérols végétaux (ce n’est pas le cas des stanols) et l’augmentation du taux sérique associé, voire l’effet sur l’absorption des vitamines liposolubles et des caroténoïdes. Jusqu’à preuve du contraire, la sécurité des stérols et stanols végétaux n’est pas remise en cause, les pertes de vitamines demeurent modestes et leur tolérance est prouvée. Mieux, l’épidémiologie plaide largement en leur faveur, elle qui montre qu’une réduction de 10% du cholestérol total est associée à une diminution du risque de maladies coronaires de 20 à 50 %, en fonction de l’âge. Une balance bénéfices/risques qui plaide donc largement en faveur de ce type de composés.
Pas d’aliment miracle !
Un solide faisceau d’arguments nourrit l’usage aujourd’hui bien accepté des aliments enrichis en phytostérols. Alors, au patient de choisir la margarine, le yaourt ou le fromage frais qu’il préfère? Il reste cependant au praticien de le mettre en garde sur les risques d’une utilisation inadaptée de ce type de produits. Rappelons-le, ceux-ci n’ont de réel intérêt que dans le cadre d’une alimentation pauvre en graisses et ”riche” en graisses de qualité. Mieux vaut donc toujours conseiller d’alterner les sources de corps gras, et de ne pas oublier non plus dans le cas des margarines que cela reste de la matière grasse, et que leur consommation doit demeurer raisonnable. Attention également : les femmes enceintes ou allaitantes ont des besoins nutritionnels particuliers et doivent éviter de consommer ce type de produits. Pour les enfants, la seule indication est celle d’une hypercholestérolémie familiale. Pour éviter les problèmes de cholestérol, yaourt ou margarine ”santé” ne résoudront donc pas tout, en clair, il n’existe pas d’aliment miracle !
Nicolas Rousseau
Diététicien
Référence:
Congrès Hearts of Minds about functional foods and prevention of cardiavascular disease, 19 octobre 2005.