Pendant des siècles, le chocolat a été employé pour traiter bien des maux. Ces dernières décennies, il est plutôt assimilé aux denrées alimentaires à bannir de l’alimentation, car jugé diététiquement coupable du développement des « maux modernes », à commencer par l’obésité. Une conception qui ne repose cependant pas sur des bases scientifiques, car aucune étude à ce jour n’est parvenue à établir un lien de cause à effet entre la consommation de chocolat et le surpoids. Au contraire, la science du cacao est en véritable ébullition et nous amène à désormais considérer cet aliment sous un nouvel angle, à la lumière des acquisitions récentes concernant le potentiel santé du cacao. Le symposium « Theobroma Cacao: The Tree of Change », qui s’est tenu récemment à Washington sous l’égide des « National Academies of Science », apporte des éclaircissements sur la question.
Du carré plaisir au chocolat santé
C’est que le cacao apparaît aujourd’hui comme une ingrédient alimentaire susceptible d’exercer des effets favorables à la santé. En particulier, il apparaît que les flavanols du cacao sont dotés d’effets bénéfiques qui vont bien au-delà de leur pouvoir antioxydant. Les dernières études conduites chez l’homme ont révélé une réduction du risque de maladies cardiovasculaires et des cancers. A l’occasion du symposium des National Academies of Science, le professeur Norman Hollenberg, de l’Ecole de Médecine de Harvard, a soumis les résultats de ses travaux conduits depuis 10 ans sur deux populations d’Indiens Kuna. Comme la plupart des populations aborigènes qui peuplent la terre, les Indiens Kuna n’échappent pas aux phénomènes migratoires, qui ont des conséquences sur leurs modes de vie. Ainsi, les Indiens Kuna indigènes vivant dans un archipel à proximité de Panama boivent quotidiennement de larges quantités de boissons cacaotées, riches en flavanols. En revanche, les Indiens Kuna qui ont quitté les îles pour habiter Panama, consomment aujourd’hui non seulement peu de cacao, mais qui plus est, ingèrent du cacao dont la concentration en flavanols est beaucoup plus faible.
Une aspirine naturelle?
Dans les certificats de décès qu’il a passé au crible, Hollenberg a révélé au grand jour des taux significativement plus faibles de maladies cardio-vasculaires et de cancers chez les Indiens Kuna insulaires. Le risque relatif de décès par maladie cardiaque dans l’isthme de Panama était ainsi 12,8 fois plus important et la mortalité due au cancer 6,3 fois plus fréquente que dans les archipels où ont trouvé refuge les derniers descendants des Kunas. Dans ses précédents travaux publiés en janvier 2006 dans les Proceedings of the National Academy of Sciences, Hollenberg suggérait que les niveaux sanguins plus élevés de flavanols - reconnus comme étant de puissants antioxydants - et de métabolites de l’oxyde nitrique (NO) étaient deux des explications potentielles à la cardioprotection observée dans cette population. Cette étude était par ailleurs la première à apporter la preuve directe qu’un flavanol spécifique du cacao, l’épicatéchine, pouvait améliorer la relaxation des vaisseaux sanguins, de manière comparable à ce que fait un médicament comme l’aspirine.
D’autres mécanismes
Deux autres scientifiques, le prof Hagen Schroeder (Université de Californie) et le prof Christian Heiss (Université de San Francisco) soutiennent l’hypothèse antioxydante et vont même plus loin, en affirmant que les bénéfices cardiovasculaires observés après consommation de cacao riche en flavanols sont sans doute plus larges que ceux dépendant uniquement de leur capacité antioxydante. En effet, la plupart des flavanols circulant dans le sang après ingestion sont assez rapidement dégradés par l’organisme et ont donc un potentiel antioxydant affaibli. Or, l’activité des flavanols du cacao est bien réelle sur le système cardio-vasculaire après leur consommation, ce qui souligne l’existence de mécanismes d’action qui empruntent d’autres voies que la protection antioxydante. L’effet aspirine-like est l’un d’entre eux. Et de nouvelles données apportées par the Shanghai Institute of Materia Medica of the Chinese Academy of Sciences indiquent que les effets bioactifs de certains flavanols du cacao se situeraient également dans une inhibition des réactions inflammatoires impliquées notamment dans la genèse des maladies cardio-vasculaires.
Au-delà des antioxydants
C’est donc aujourd’hui sous un nouveau jour qu’apparaissent les constituants du cacao, tels que les flavanols. Leur attribuer le simple statut d’antioxydants apparaît donc fortement réducteur, surtout à l’analyse de leurs effets sur la fonction cardio-vasculaire. A côté d’une vision élargie sur le sujet, les experts du chocolat recommandent également de nouvelles méthodes d’analyse des flavanols du cacao et surtout d’arrêter d’évaluer la teneur en flavanols du cacao par des méthodes de « capacité antioxydante », qui sont à l’évidence désuètes et trompeuses, tant pour les chercheurs que pour les professionnels de santé.
Pas l’exclusivité du cacao
Les flavanols ne sont pas non plus uniquement l’apanage du cacao et du chocolat. Trop souvent, on a tendance à oublier que le cacao est dérivé d’une plante et qu’en conséquence, il contient certains composants bénéfiques pour la santé que l’on peut trouver également à profusion dans plusieurs fruits, légumes ou légumineuses (haricots rouges, lentilles, pois chiches,…). A titre d’exemple, l’épicatéchine, particulièrement abondante dans certains types de cacao, est aussi présente en grandes concentrations dans la pomme ou le raisin. Ces nouvelles avancées dans le domaine de la biochimie des flavanols du cacao apportent donc des éclairages nouveaux qui devraient permettre une meilleure compréhension de l’impact positif d’une alimentation riche en fruits et légumes sur la santé du cœur et des artères.
Revigorer des économies fragiles
Outre ces avancées dans le domaine de la santé cardiovasculaire, la science du cacao constitue actuellement une source de progrès pour des millions de producteurs de cacao. En effet, chaque année, de nombreux producteurs de cacao perdent un tiers ou plus de leur récolte, suite à la présence de parasites et de maladies, ou simplement à cause d’un manque de formation appropriée dans l’utilisation des techniques d’agriculture rudimentaires ou d’autres difficultés liées à l’environnement. La science du cacao contribue ici aussi indirectement à rendre l’espoir et fournit de nouvelles opportunités en tant que source d’avantages sociaux, économiques et environnementaux pour des producteurs, dont la survie est étroitement liée à cette culture.
N. Rousseau
Référence :
Theobroma Cacao: The Tree of Change. Sous l’égide des « National Academies of Science » Washington DC, le 9 février 2006.