La nourriture entre en action!

13/12/2005
Article

Il n’était pas question ici de refaire le topo classique de l’obésité, des maladies cardio-vasculaires et de tous les autres constats alarmants qui font blêmir la sécurité sociale. La problématique du surpoids et de l’inactivité était envisagée, au contraire, comme un style de vie particulier, certes peu recommandable, bien qu’adopté par une (trop) grande proportion de la population. La quantité d¹énergie ingérée, les choix alimentaires, l’inactivité physique, l’abondance de nourriture à haute densité énergétique mais aussi la pratique des régimes ont été incriminés dans la genèse de l’obésité. Ces différents points de vue nous fournissent une vision nouvelle et plus intégrée du problème. De nouveaux axes d’action ont également été envisagés.

Nos choix alimentaires

La nature et la quantité de nourriture ingérée ont une influence sur le poids corporel et la santé. Le comportement alimentaire, que l’on considère comme un acte volontaire, est malgré tout déterminé par bien des choses qui échappent à notre contrôle...

Comme l’explique F. Bellisle (INRA, Hotel−Dieu), la prise alimentaire est initialement gérée en fonction du besoin d’énergie du corps. Le statut nutritionnel de l’individu s’exprime via différents messages métaboliques ayant pour but de maintenir la composition corporelle constante. Une fois traduits par le système nerveux central (la région hypothalamique plus particulièrement), ils arrivent au niveau conscient et indiquent à l’individu qu’il a faim ou qu’il est rassasié. La leptine reste la molécule la plus célèbre parmi ces messagers. N. Delzenne nous rappelle cependant qu’ils comprennent un très grand nombre de molécules différentes: Ghréline, oxyntomoduline, neuropeptide Y, GLP-1, etc. Certaines stimulent l’appétit, tandis que d’autres l’inhibent; toutes interagissent de manière complexe et élaborée afin de réguler l¹appétit et, par conséquent, la prise alimentaire.

A côté de ces mécanismes chargés d’équilibrer la prise alimentaire en fonction des dépenses, les choix alimentaires de l’humain sont fortement influencés par le goût des aliments. Ainsi, un individu se dirigera de préférence vers un aliment qu’il trouve bon, souligne C. de Graaf (Université de Wageningen). Nos préférences pour certaines saveurs ont une origine innée. Ainsi, la préférence du nouveau-né pour la saveur sucrée est universelle. Un bébé de quelques heures qui reçoit une solution sucrée émettra une mimique faciale de plaisir, tandis que son visage exprimera le dégoût s’il s’agit d’une solution amère. Cette préférence est adaptative: le lait maternel étant légèrement sucré, le nouveau-né acceptera de l’ingérer sans problème, ce qui est élémentaire pour sa survie.

Préférences apprises

Il est très difficile d¹envisager les préférences alimentaires d’un individu sans prendre en compte l’influence de son entourage et des modèles éducatifs qu¹il a reçu. Si l’attirance pour la saveur sucrée est innée, N. Rigal (Université de Paris-10) insiste sur le fait que la plupart des préférences alimentaires sont apprises. Lors du sevrage, le petit enfant élargira la gamme de ses préférences, mais ses mets favoris resteront ceux riches en énergie, principalement représentés par les aliments gras et sucrés. Ils sont plus à même de couvrir facilement ses besoins énergétiques. Voici pourquoi nos chères têtes blondes font volontiers l’impasse sur les légumes... Ce qui peut perdurer à l’âge adulte si les enfants ne sont pas stimulés à en manger. C’est là le rôle éducateur des parents et de la famille: présenter à l’enfant toute la gamme des aliments afin qu’il se familiarise avec eux et apprenne à les apprécier. Il aura alors plus tendance, une fois adulte à son tour, à varier et mieux équilibrer son alimentation. Attention, tenir le rôle d’éducateur alimentaire n’est pas chose facile: il faut parfois présenter 20 fois un légume à l’enfant pour qu’il accepte de l’inclure dans son répertoire!

Et en pratique? Pour éduquer un enfant à manger équilibré, il convient d’adopter un juste milieu. Tout d’abord, il s’agit de maintenir le plaisir des enfants à manger des aliments denses en énergie sans les culpabiliser, car cette attirance est normale et adaptée. Ce faisant, on encouragera également nos bambins à tenir compte de leur appétit. Ensuite, on introduira en douceur et sans frustration d’autres aliments tels que les légumes, certaines viandes... Les présenter dans un contexte détendu et agréable, pourquoi pas avec une sauce appréciée, fera passer la pilule beaucoup plus facilement. Pour un temps... Car après l’enfance, l’adolescence est une période à part où le jeune a parfois tendance à rejeter en bloc les habitudes familiales et à désorganiser tout à fait son mode alimentaire. Une fois adulte, l’individu revient cependant le plus souvent à ses préférences acquises dans l’enfance.

Un système de valeurs paradoxal

Actuellement, bien des choses sont destinées à faciliter la vie et à encourager la consommation, quelquefois aux dépens de la santé. L’activité professionnelle est physiquement moins fatigante qu’avant et conduit à de moindres dépenses énergétiques. A l’inverse, alors que les besoins ont diminué, la disponibilité de nourriture variée, appétissante et riche en énergie est de plus en plus grande. La société actuelle inonde les individus de messages paradoxaux: on leur demande d’être sveltes, actifs, mais on les incite à consommer des denrées alimentaires riches en énergie et à employer les dernières technologies qui leur épargnent des efforts... Résultats: non seulement la population prend du poids, mais elle se retrouve de plus en plus assise entre deux chaises, mal à l’aise.

Nos choix alimentaires sont donc déterminés selon différents niveaux, eux-mêmes en interaction. L’individu détient les aspects cognitifs et biologiques. Son groupe social restreint (famille et proches) est responsable des nombreux apprentissages depuis la plus tendre enfance. Enfin, la société ou groupe social global insuffle quant à elle bon nombre de valeurs et idéaux, parfois en conflit avec les autres influences. Qui a dit que le comportement alimentaire n’était pas si compliqué?

Nouvelles pistes d’action

Informer, conseiller des régimes, encourager à pratiquer une activité physique... Ces actions ont des effets limités sur l’obésité. Une prise en charge plus globale du problème semble nécessaire.

Maintes solutions ont déjà été imaginées pour endiguer le phénomène de l’obésité, qui se répand malgré tout comme une traînée de poudre. L’information occupe une grande partie de ces actions: campagnes publicitaires, informations destinées à des groupes (exposés dans des écoles) ou à des individus isolés (par le biais du médecin traitant, nutritionniste ou diététicien). Ces actions éducatives ont des effets discutables et temporaires.

Les régimes font-ils grossir?

Première solution envisagée en cas d’obésité, les régimes hypocaloriques sont toutefois suspectés d’avoir des conséquences perverses. Une personne au régime a tendance à s’imposer de suivre certaines règles alimentaires et, parallèlement, à s’interdire certains aliments. Le contrôle de l’alimentation est alors avant tout cognitif, et la personne ne tient que peu compte des sensations alimentaires que sont la faim et la satiété. Or, celles-ci sont avant tout destinées à réguler le poids. A coté de cela, expose C. Vögele (Université de Roehampton), ce désir de contrôle provoque une fixation mentale sur l’alimentation. Cela mobilise beaucoup de ressources cognitives, qui sont alors moins disponibles pour réaliser d’autres tâches, dont la gestion du stress. Des pertes de contrôle peuvent survenir et se traduire par des accès alimentaires impulsifs et importants menant à la mise en échec du régime, voire même à une prise de poids. Le risque qu’un cercle vicieux « régime-excès » s’installe est important. Une solution se profile tout de même: éviter les règles rigides, lever le pied sur les interdits et suivre ses sensations alimentaires.

Trop optimiste

On surestime notre capacité à contrôler consciemment notre alimentation. Selon J. Vinck (Université de Hasselt), la force des déterminants cognitifs de notre comportement alimentaire est surestimée. Bien souvent, nos comportements réels déterminent plus notre assimilation d’une nouvelle information que l’inverse. C’est surtout vrai en ce qui concerne les informations effrayantes. Les messages alarmistes seront alors déniés ou réinterprétés de manière à ne pas mettre le système de valeurs de l’individu en péril. On se rend compte que les personnes qui tiennent le mieux l’information en compte sont celles qui sont déjà informées. C’est là une grande limite de l’éducation à la santé. De plus, changer les habitudes alimentaires ne procure pas directement des effets bénéfiques perceptibles par l’individu, ce qui ne renforce pas le maintien de ces changements.

Action globale

Un axe d’intervention encore peu exploré est celui de l’environnement. Ce dernier conditionne en partie les choix alimentaires du sujet et s’avère une cible d’action plus stable que l’individu lui-même. Parmi les propositions formulées par J. Vinck: augmenter la disponibilité et la variété de denrées alimentaires saines tout en diminuant celles des aliments qui le sont moins. Diminuer le prix des aliments sains encouragerait également leur consommation. Mais un impact très net sur leur consommation pourrait être obtenu en arrivant à attribuer aux aliments sains une valeur affective positive. Par exemple, les médias pourraient faire véhiculer à leur propos une image saine, attractive. Il s’agit ici d’une action politique à grande échelle qui bousculerait totalement notre système de valeurs. Une telle action est évidemment plus difficile à mettre en place qu¹un système d’information, mais peut-être porterait-elle plus de fruits...

Magali Jacobs,
Diététicienne

« Food in Action ». Bruxelles, 27 et 28 octobre 2005.




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