C’est le schéma classique : le rituel du repas, moment de pure félicité durant les premiers temps de vie de bébé, a pris désormais des allures de match de catch. Car la néophobie est une période normale du développement de l’enfant dans la mesure où elle concerne une majorité d’entre eux et où son intensité est supérieure à celle de l'adulte. Entre 3 et 6 ans, elle induit une diminution de la variété du répertoire de consommation, avec un dégoût particulier pour les fruits et légumes. Quand faut-il s’inquiéter ? Si son refus de s’alimenter coïncide avec d’autres troubles (énurésie, agressivité, mélancolie) ou si sa courbe de croissance commence à en être affectée. Mais dans la pratique, conseiller certains réflexes très simples à la famille peut donner déjà d’excellents résultats.
L’éducation à la maison
C’est par exemple ce qu’ont obtenu il y a peu des chercheurs britanniques (1) au travers d’une étude d’intervention "à la maison", impliquant des parents et leurs enfants, âgés de 2 à 6 ans. Cette étude contrôlée, menée sur environ 150 enfants, a testé l’influence de l’exposition répétée au goût d’un légume spécifique, à celle de l’information nutritionnelle et de l’absence d’intervention. Dans le groupe « exposition », on demandait aux parents de faire goûter le légume test quotidiennement à leur enfant pendant 2 semaines. Dans le groupe information, on expliquait aux parents l’intérêt de consommer 5 fruits et légumes par jour. On leur remettait des brochures de conseils et de suggestions pour accroître la consommation de fruits et de légumes chez leur enfant. Enfin, dans le groupe contrôle, chaque famille recevait quelques conseils sur la façon de nourrir sainement un enfant et était réévaluée après 2 semaines.
L’exposition est efficace
Le résultat est révélateur : le niveau d’appréciation pour le légume a significativement augmenté à la fin du test dans le groupe exposition et, de manière moins importante, dans le groupe contrôle. En revanche, il n’avait pas changé dans le groupe information. Mieux encore, au bout de 2 semaines, le légume test est même devenu le légume préféré chez près de 30 % des enfants du groupe exposition, contre seulement 5% dans le groupe contrôle et 2 % dans le groupe information. Enfin, le pourcentage d’enfants consommant volontairement le légume test est passé de 47% à 77% dans le groupe exposition alors que les résultats n’étaient pas significatifs dans les deux autres groupes. Le groupe exposition est également le seul où la quantité de légume test consommée a significativement augmenté. Ces résultats démontrent que la présentation répétée d’aliments nouveaux à des enfants peut transformer le rejet en acceptation. A noter les résultats les plus médiocres dans le groupe information. Comme quoi, il ne suffit pas de savoir pour bien faire...
Publicité et société de consommation
Autre sujet chaud, au cœur du débat dans l’obésité infantile : la publicité adressée aux enfants. Pour la première fois, des chercheurs de l’Université de l’Illinois se sont intéressés à la composition nutritionnelle des aliments vantés dans les publicités accompagnant les programmes pour enfants sur les grands « networks » américains. Cet échantillonnage a été réalisé pendant 5 semaines dans les programmes les plus visualisés par les enfants de 6 à 11 ans, dans les créneaux horaires de 7 à 10 heures du matin. Au total, l’étude a passé au crible plus de 1424 annonces publicitaires, parmi lesquelles 426 comportaient des produits alimentaires, soit 10. 26 annonces publicitaires pour un aliment par heure de programmation ! Le panel comprenait les programmes aussi bien des dessins animés tels que « SpongeBob » ou la version américaine de la Star Academy, « American Idol ». Pour effectuer leur analyse nutritionnelle, les auteurs de l’étude se sont référés à l’étiquetage alimentaire des produits dont les slogans faisaient la promotion.
Pas de réelle surprise
Comme on pouvait s’y attendre, les bonbons, les chocolats, les sucreries et les boissons sucrées dominent largement avec près de 44 % des annonces publicitaires vantant des produits alimentaires. Et sur l’ensemble des annonces, la publicité pour les fast foods représente à elle-seule 34,2 % du marché… Les plus gros annonceurs étaient notamment « Burger King Kids Meal Chicken tenders », « McDonald’s Happy Meal frenc fries », « Jell-O Pudding bites (chocolate and vanilla) » et « Wendy’s Kid’s Meal crispy chicken nuggets ». Effarant pour des publicités programmées en début de matinée… D’après les estimations des auteurs de l’étude, une journée alimentaire de 2000 kcal composée de ces différents produits dépasse largement les apports journaliers recommandés en sel et fournit pratiquement l’équivalent d’une tasse à café de sucre ! S’il est difficile de déterminer avec précision combien d’enfants vont reproduire ce type de schéma alimentaire, toujours selon les auteurs de l’étude, il est clairement démontré que plus l’exposition à ce type de communication est élevé, plus le comportement d’achat est influencé. En clair, les téléphages ont de fortes chances d’adopter plus facilement ce comportement que les enfants qui regardent la télévision plus occasionnellement.
Une responsabilité à partager
L’étude va également plus loin en montrant que les publicités pour des snacks sont beaucoup plus fréquentes que pour le petit déjeuner ou les autres repas de la journée, que la publicité pour le pain, le produits laitiers, les fruits et légumes occupent un segment ridicule et que pratiquement aucune des annonces ne valorisent des messages santé (à l’exception de la sempiternelle référence à des ingrédients « naturels »). Certes, l’exemple de la télévision américaine, où la publicité est reine, n’est pas entièrement représentatif de ce qui se passe aujourd’hui en Belgique ou même en Europe, mais il constitue cependant un signal d’alarme à prendre en considération. Mais plutôt que d’ériger l’industrie alimentaire en bouc émissaire, sans doute l’attitude la plus facile, il importe comme le rappelle à juste titre les auteurs de cette étude de faire une véritable réflexion en profondeur à tous les échelons de la société. Malgré le marketing intensif qui est une réalité et qui invite à une prise de conscience et une plus grande responsabilisation du secteur alimentaire tout entier, l’implication parentale demeure le facteur le plus important dans l’alimentation de la famille. Seuls les parents peuvent assurer la mission essentielle de l’éducation alimentaire et aussi encourager plus d’activité physique, notamment en limitant le nombre d’heures passées devant la télévision. Des défis d’éducation auxquels devront s’attacher également le programme national de nutrition et santé prochainement dans notre pays…
Nicolas Rousseau
Diététicien nutritionniste
Sources :
Wardle J- Congrès EGEA 2005, du 18 au 21 mai, Montecitorio Eventi, Rome, Italie
Harisson K et al. Am J Public Health 2005 ; 95(9) : 1568-74