La physiopathologie du syndrome du côlon irritable (IBS, irritable bowel syndrome) reste largement incomprise. On a évoqué des anomalies de la sensibilité intestinale, aboutissant à un seuil de perception abaissé des stimuli de distension, avec pour conséquence finale une motricité perturbée. Des données issues des mesures manométriques vont dans ce sens, mais n’expliquent pas tout, loin de là. Il n’en reste pas moins vrai que des myorelaxants spécifiques, par exemple le bromure d’otilonium, parviennent à soulager les patients.
Une affaire de psy ?
Devant le caractère capricieux des manifestations de ce syndrome et sa fréquence plus élevée chez des personnes psychiquement un peu fragiles, on a également invoqué, depuis longtemps d’ailleurs, une composante psychologique dans le développement de la maladie. Si le taux de dépression, voire même de suicide, semble plus élevé chez les personnes atteintes de syndrome du côlon irritable que dans la population générale, il n’est pas aisé de démêler ce qui serait cause de ce qui peut être conséquences. Bref, en matière de physiopathologie, on n’y voit pas clair du tout.
Il en va de même du rôle de la nutrition dans la survenue des symptômes qui permettent de définir le côlon irritable. On en connaît les critères diagnostiques (Critères de Rome II, Cf. Health and Food n° 69). La difficulté est grande de rattacher ces plaintes à un aliment qui pourrait en être responsable. Voici quelques données récentes.
Changement de motricité
Il est hautement probable que certains aliments jouent un rôle dans la physiopathologie du syndrome du côlon irritable, que ce soit directement ou indirectement. L’étude conduite par Small et al. Portait sur la motricité jéjunale postprandiale chez des patients atteints de côlon irritable. Les chercheurs ont tenu compte de deux formes cliniques de l’affection : celle à constipation dominante et celle à diarrhée dominante. Ils ont pu montrer des différences quantitatives dans la motricité postprandiale du jéjunum entre les patients souffrant de côlon irritable et les volontaires sains. Les contractions jéjunales postprandiales ont une fréquence supérieure à la normale dans les deux formes étudiées de l’IBS, mais dans la forme à constipation dominante, l’amplitude de ces contractions est réduite. S’il en est ainsi du jéjunum, il n’est pas impossible qu’on puisse extrapoler au côlon.
Sempiternel lactose
L’une des affections fréquentes qui peuvent donner des symptômes proches de ceux de l’IBS est l’intolérance au lactose. Vernia et al. dès 1995 se sont demandé s’il existait une relation entre les deux maladies. Ils ont suivi de manière prospective 230 patients suspects de syndrome du côlon irritable, considérés comme exempts de trouble organique du système digestif et n’ayant pas d’antécédents d’intolérance au lait. Une malabsorption du lactose fut diagnostiquée chez 157 de ces patients (68,2%). Un régime sans lactose fut donc mis en place, mais parmi les 110 patients qui ont suivi correctement ce régime, 48 (43,6%) seulement ont vu leurs symptômes disparaître, alors qu’ils n’étaient que modérément améliorés chez 43 autres et totalement inchangés chez 17 patients.
Chez les patients non compliants au régime, les manifestations de l’IBS n’ont pas disparu. Il en était de même chez les sujets atteints d’IBS chez lesquels on n’avait pas trouvé de malabsorption de ce sucre. Dans ce dernier groupe toutefois, les auteurs ont noté 20% de cas d’amélioration. Aucune corrélation ne put être établie entre les symptômes initiaux et l’influence du régime. La survenue de crises au cours du test respiratoire au lactose montra une influence favorable du régime, mais ne permit pas de prédire si l’on obtiendrait une amélioration ou une disparition des plaintes. Par contre, l’absence de crise en cours de test n’avait aucune valeur prédictive négative. Tout ce qu’on peut donc conclure de cette étude italienne, c’est que les deux affections sont fréquemment associées.
Intolérance et allergie
Dans une revue des données conduite par un groupe d’experts réunis à Nice en 2003 (Dapoigny et al.) il apparaît que plusieurs aliments couramment impliqués dans des problèmes d’intolérance sont susceptibles de provoquer des manifestations qui évoquent celles de l’IBS. Il faut donc penser à interroger ces patients, non seulement sur leur consommation de lactose, mais aussi sur celle de café, d’alcool, de sodas et même sur leurs éventuelles habitudes de mâcher du chewing-gum. Certains substrats fermentescibles peuvent aussi être retenus dans l’intestin et donner lieu à une production accrue de gaz intestinaux, avec les conséquences cliniques que l’on connaît. Cette notion est soutenue par le fait que chez les personnes hyperphagiques, ce type de substrats peut provoquer des manifestations « IBS-like ».
Il y a encore la question des allergies alimentaires et de leurs liens avec la perméabilité intestinale. Baurau et al. (France) ont étudié les cas de 17 enfants présentant les signes du syndrome du côlon irritable. Ils ont effectué des tests d’absorption au lactose et au mannitol, à jeun et après ingestion d’aliments, choisis sur base des antécédents cliniques des enfants ou des résultats d’un test d’allergie. En comparant les résultats avec ceux d’une population contrôle faisant partie d’une recherche antérieure, ils ont montré que l’ingestion de ces aliments s’accompagnait de modifications de la perméabilité de la muqueuse intestinale chez neuf des 17 enfants de leur étude. Ces neuf petits patients avaient une histoire personnelle et/ou familiale d’allergie et/ou un taux accru d’IgE totales. Les symptômes de l’IBS ont disparu après éviction des aliments incriminés. Mais cela ne fut pas le cas chez tous les patients de l’étude : l’hypothèse allergique, si elle est plausible, est une fois de plus loin de tout expliquer.
Fibres, chères fibres
Le même mystère persiste à propos des fibres. Malhotra et al. (Inde) ont évalué cet apport chez une trentaine de patients adultes. Ces patients étaient couplés à des sujets sains de même sexe et de même âge. Ils constatent que les patients atteints d’IBS (en Inde du Nord) mangeaient moins de fibres alimentaires. Mais la question reste entière : cause ou conséquence ? Les fibres alimentaires pourraient très bien déclencher des douleurs ou des ballonnements chez certains patients atteints d’IBS. Il pourrait cependant s’agir d’un facteur déclenchant ou aggravant, plutôt que causal.
À défaut de faire toute la lumière sur cette mystérieuse affection, ces constats peuvent servir de base à des recommandations nutritionnelles. Nous envisagerons cet aspect dans un prochain article.
Dr Jean Andris
Références :
Barrau E, Dupont C. Modifications of intestinal permeability during food provocation procedures in pediatric irritable bowel syndrome. J Pediatr Gastroenterol Nutr 1990; 11: 72-7.
Dapoigny M, Stockbrugger RW, Azpiroz F et al. Rôle of alimentatin in irritable bowel syndrome. Digestion 2003; 67: 225-33.
Malhotra S, Rana SV, Sinha SK et al. Dietary fiber assessment of patients with irritable bowel syndrome from North India. Indian J Gastroenterol 2004; 23: 217-8.
Small PK, Loudon MA, Hau CM et al. Large-scale ambulatory study of postpranidal jejunal motilité in irritable bowel syndrome. Scand J Gastroenterol 1997; 32: 39-47.
Vernia P, Ricciardi MR, Frandina C et al. Lactose malabsorption and irritable bowel syndrome. Effect of a long-term lactose-free diet. Ital J Gastroenterol 1995; 27: 117-21.
(abstract)