Plus personne ne nie que la qualité de la nutrition de l’enfant exerce une influence sur ses performances scolaires. Depuis longtemps des études ont montré qu’un petit déjeuner bien conçu améliore les performances intellectuelles de nos rejetons au cours de la matinée.
Mais certains enfants éprouvent de plus grandes difficultés scolaires que d’autres, en raison des troubles de l’attention dont ils souffrent. Ils sont en effet atteints de ce que l’on appelle en anglais les ADHD ou Attention Deficit Hyperactivity Disorders.
Des tas d’idées parasites
Il s’agit d’états psychiques (certains vont jusqu’à dire psychiatriques mais le terme nous paraît un peu fort) dans lequel l’enfant manifeste des perturbations importantes de comportement et de concentration. Ces enfants sont trois fois plus sensibles au stress que les autres mais surtout leurs résultats scolaires sont déplorables et leur devenir professionnel et social en subit ultérieurement les conséquences. Ils sont également victimes de troubles du sommeil, notamment d’endormissement tardif pour leur âge. On a fait d’importants progrès dans la prise en charge de cet état, notamment avec l’apparition d’un médicament appelé méthylphénidate. Paradoxalement, il s’agit d’un stimulant. L’explication de son effet chez les enfants hyperactifs résiderait dans le manque d’inhibition qui les caractériserait et le médicament stimulerait les systèmes inhibiteurs centraux, empêchant ainsi les idées parasites de se manifester trop souvent. Ainsi ils deviennent capables de rester plus longtemps fixés sur une idée ou une tâche et ils sont moins perturbés par les véritables avalanches d’idées ou d’envies saugrenues qui les submergent et les détournent.
Un rôle dans les synapses
Il est apparu ces dernières années que certains nutriments ou micronutriments pouvaient exercer eux aussi une influence sur les capacités d’attention et leurs troubles, sans pour autant constituer à eux seuls des traitements décisifs. Il en est ainsi des acides gras poly-insaturés, notamment les oméga-3 et de certains minéraux dont le magnésium.
Les acides gras poly-insaturés à longue chaîne sont abondamment présents dans les phospholipides des membranes cellulaires, y compris au niveau des neurones et de leurs synapses. Ils y exercent à la fois des rôles structurels et physiologiques qui semblent influencer le fonctionnement de ces synapses. Ils auraient en particulier des effets modulateurs sur les circuits dopaminergiques et sérotoninergiques centraux. On pourrait trouver là, selon BK Puri, du Hammersmith Hospital de Londres, une partie de l’explication des effets de ces acides gras sur les troubles de l’attention.
Un déficit évident
Avec Richardson, qui a consacré beaucoup de travaux à cette question, Puri part d’un constat : le mode d’alimentation favorise des carences en micronutriments et en acides gras essentiels, notamment. En outre, la vie quotidienne devient de plus en plus stressante et les enfants figurent parmi les premières victimes de cette tourmente, ce qui ne les aide pas à acquérir des capacités d’attention performantes. Sur base de cette hypothèse, Richardson et Puri ont eu l’idée de fournir à une série de 41 enfants de 8 à 12 ans atteints d’ADHD des suppléments en oméga-3 et oméga-6 ou un placebo, après randomisation. Au départ, les deux groupes d’enfants ne différaient pas pour ce qui est des scores de comportement général et des performances cognitives. Mais après trois mois de ce régime, les auteurs ont constaté que ces scores étaient devenus significativement meilleurs chez les enfants ayant reçu des suppléments que chez ceux qui avaient été placés sous placebo.
Par la bande
Le métabolisme des PUFA est influencé notamment par la carnitine, petite molécule hydrosoluble qui joue le rôle de transporteur des acides gras. Elle est indispensable pour l’oxydation des acides gras à longue chaîne dans les mitochondries, stimule l’oxydation du pyruvate et abaisse les taux d’acyl-CoA. L’acétylcarnitine constitue un réservoir énergétique en équilibre avec l’acétyl-CoA. Ce dernier, à son tour, peut être oxydé dans le cycle de Krebs mais peut aussi servir de donneur d’acétyl pour la synthèse ou l’élongation des acides gras, ainsi que pour la synthèse des stéroïdes ou de l’acétylcholine. D’où l’idée de tenter d’influencer le métabolisme des acides gras à longue chaîne par le biais de la carnitine.
Van Oudheusden et Scholte ont conduit une étude auprès de 24 enfants néerlandais âgés de 6 à 12 ans, chez lesquels un diagnostic d’ADHD avait été établi. Après randomisation, ils ont reçu en double aveugle, soit un supplément de 100 mg/kg/j de carnitine en deux prises quotidiennes, soit un placebo. L’étude comprenait un double cross-over : placebo-carnitine-placebo ou carnitine-placebo-carnitine. Chaque phase a duré huit semaines. Avant traitement, les scores de comportement ont été établis (score global, scores d’attention, d’agressivité et de délinquance). Ils étaient nettement plus défavorables chez les enfants atteints d’ADHD que chez des enfants normaux servant de contrôles. Les tests effectués au cours d’une phase de prise de carnitine ont permis de recenser 13 enfants répondeurs (amélioration des scores supérieure à 30%). Les taux de carnitine et d’acétylcarnitine plasmatiques étaient significativement supérieurs chez les répondeurs par rapport aux non-répondeurs.
La petite chiquenaude
Un autre moyen pour tenter de modifier le métabolisme des acides gras oméga-3 et oméga-6 consiste à favoriser la présence dans l’organisme de quantités suffisantes des coenzymes nécessaires à ce métabolisme. La delta-6-désaturase est une enzyme qui transforme l’acide alpha-linolénique en acide stéaridonique dans la chaîne des oméga-3 et l’acide linoléique en acide gamma-linolénique dans la chaîne des oméga-6. Ces deux étapes constituent chacune la première transformation des deux acides gras essentiels dans leur famille respective. Il se fait que la delta-6-désturase a besoin comme coenzymes de la vitamine B6, du magnésium et du zinc. Or plusieurs auteurs ont constaté des carences, notamment en magnésium, chez les enfants atteints d’ADHD. Ce constat est à la base de l’idée de les supplémenter en ce micro-nutriment, ainsi que l’ont tenté divers auteurs.
Parmi eux, Starobrat-Hermelin et Kozielec ont étudié 50 enfants de 7 à 12 ans, atteints d’ADHD et présentant une déficience en magnésium dans le sang (plasma et globules rouges). Ces enfants ont reçu pendant 6 mois des suppléments de magnésium à raison de 200 mg/j, en plus du traitement pharmacologique classique. Un autre groupe de 25 enfants fut traité de manière classique uniquement. Au bout de cette période, la teneur des tissus en magnésium avait augmenté et l’hyperactivité avait significativement diminué chez les enfants ayant reçu des suppléments. Cette augmentation était notée non seulement par rapport à leur statut au début de l’étude, mais aussi par rapport aux enfants ayant servi de contrôle.
Des pistes à creuser
La littérature concernant les effets de certains nutriments susceptibles d’interférer avec le métabolisme des acides gras oméga-3 et oméga-6 s’étoffe progressivement. Certes, le faisceau d’arguments concernant leur intérêt dans les ADHD doit poursuivre sa structuration. Mais les données actuelles s’avèrent déjà positives et dans une situation où l’arsenal thérapeutique reste encore restreint, disposer de moyens simples pour soutenir la prise en charge n’est pas chose négligeable.
Dr Jean Andris
Références :
Richardson AJ, Puri BK. Prog Neuro-Psycho-Pharmacol 2002; 26: 233-9
Starobat-Hermelin B, Kozielec T. Magnes Res 1997; 10: 149-56
Van Oudheusden LJ, Scholte HR. Prostagl, Leukotr Ess fatty Ac. 2002; 67(1): 33-8