« Les oméga-3 fluidifient le sang » ! Cette image, certes caricaturale d'un point de vue scientifique, est née du fait que les Esquimaux se nourrissant essentiellement d'animaux marins riches en acides gras oméga-3 à longue chaîne (EPA et DHA) ne connaissent que peu d'infarctus du myocarde, mais plus d'accidents hémorragiques. Depuis, de nombreux travaux ont confirmé que ces acides gras exercent une inhibition de la réactivité plaquettaire, suggérant qu'ils peuvent prévenir la thrombose coronarienne. Cet effet inhibiteur sur les plaquettes a aussi été démontré pour des quantités d'oméga-3 plus faibles que celles qui caractérisent le régime des esquimaux du Groenland, mais il est difficile de déterminer la contribution réelle des oméga-3 sur la coagulation sanguine et sur la thrombose coronarienne.
Les études cliniques réalisées avec les oméga-3 à longue chaîne ont apporté surtout des résultats en terme de mortalité coronarienne, alors que pas ou peu d'effet n'apparaît généralement sur le nombre d'infarctus. C'est ce qui amène certains auteurs à considérer que l'effet antiarythmique de ces acides gras est plus important que l'effet antithrombotique (1).
Précisons cependant que lorsque l'on parle d'oméga-3, on ne fait pas toujours la distinction en fonction de la nature de ces acides gras. Or, il semble que cette distinction ne soit pas inutile : si les chaînes longues (EPA et DHA), prises seules, agissent surtout sur la mort cardiaque brutale, leur association avec l'acide linolénique (C18:3 n-3) est à même de réduire à la fois la mortalité cardiovasculaire et les accidents non fatals. Cette distinction n'est cependant pas encore clairement établie, et les longues chaînes pourraient aussi agir sur le risque vasculaire global, notamment par le biais d'un effet sur le profil du risque hémostatique.
La rupture d'une plaque athérosclérose avec formation ultérieure d'un thrombus occlusif représente une cause majeure d'infarctus du myocarde. L'activation du facteur VII (FVII) en facteur activé (FVIIa), qui s'effectue par le facteur tissulaire (TF) représente une étape cruciale dans la cascade qui mène à la formation d'un caillot de fibrine. Les études épidémiologiques ont montré que l'activité de coagulation du facteur VII est positivement corrélée aux triglycérides sériques, plus qu'au cholestérol sérique, et qu'elle possède une valeur prédictive pour la maladie coronarienne (2).
Les personnes atteintes d'hyperlipidémie mixte affichent souvent des changements hémostatiques avec un risque accru de développer des événements thrombotiques. Ces changements sont associés à une augmentation de l'activité procoagulante et à une diminution du potentiel fibrinolytique. Cette tendance est encore accentuée au cours de l'hyperlipidémie postprandiale, comme en témoigne l'élévation importante du FVIIa. Des recherches récentes montrent que chez ces patients qui sont sous traitement médicamenteux (par les statines), les oméga-3 peuvent être d'un précieux recours pour donner un petit coup de frein à un système de coagulation qui s'emballe.
Une équipe Norvégienne, conduite par Arne Nordoy (Université de Tromso) a mené une étude clinique randomisée auprès de 41 patients présentant une hyperlipidémie mixte. Après une période de 3 mois au cours de laquelle ils ont été traités par simvastatine (20 mg/jour), leur profil était le suivant : triglycérides (TG) sériques entre 2,0 et 15,0 mmol/l, cholestérol total (CT) supérieur à 5,3 mmol/l. Ils ont alors été répartis soit dans un groupe statine + oméga-3 (3,36 g/jour), soit satine + placebo (huile de maïs), et ce pour une durée de 5 semaines. Au terme de cette période, les auteurs constatent que les oméga-3 sont associés à des effets potentiellement bénéfiques sur l'hémostase, notamment une réduction de la fraction libre du TFPI (TF pathway inhibitor) et une inhibition de l'activation du facteur VII durant la lipidémie post-prandiale.
Récemment, Nordoy et ses collègues ont reconduit une étude comparable avec 42 hyperlipidémiques traités par statine (10 mg d'atorvastatine par jour), recevant soit des oméga-3, soit un placebo. Cette étude confirme que ces patients ont une propension excessive à l'activation de la coagulation extrinsèque, surtout au cours de la lipidémie postprandiale, et que cette activation peut être réduite de façon significative par les oméga-3.
Ces données, bien qu'elle ne fassent pas toute la lumière sur les effets antithrombogènes des oméga-3, viennent appuyer l'intérêt de ces acides gras pour la santé du cœur et des artères. Elles montrent aussi que même en cas de traitement des dyslipidémies par des statines, une majoration de l'apport en oméga-3 est un « plus ».
Nicolas Guggenbühl,
Diététicien Nutritionniste
Mécanismes cardioprotecteurs des acides gras oméga-3 à longue chaîne(d'après Calder, Clin Sci 2004)
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Kristensen SD et al. Lipids 2001;36:79-82.
Folsom AR et al. Arterioscler Thromb 1993;13:1829-36.
Nordoy A et al. Arteriosc Thromb Vasc Biol 2000;20:259-265.
Nordoy A et al. J Thromb Haemost 2003;4 :690-7.