La puissance du nombre, dans la durée. L'étude SU.VI.MAX, en France, est un bel exemple récent des grandes études d'intervention mises actuellement en chantier. Plus de 13000 hommes et femmes, suivis régulièrement pendant 8 ans, avec au bout du tunnel, des résultats retentissants… Bref, des chiffres qui se passent de commentaires. Faut-il dénigrer pour autant la portée de petites études ?
La preuve par cinq
Certainement pas! Dans une récente publication de l'American Journal of Clinical Nutrition (1), c'est une étude conduite seulement sur cinq individus (3 femmes et 2 hommes) qui a défrayé la chronique!
Celle-ci étudiait la biodisponibilité de la vitamine E, à partir de différentes sources. Les volontaires ont avalé de manière séquentielle, avec du lait écrémé, soit un supplément de 400 UI de vitamine E (cap400), soit des céréales pour petit déjeuner enrichies de 30 UI de vitamine E (céré30), soit des céréales pour petit déjeuner enrichies à raison de 400 UI (céré400). Cinq mois plus tard, ils ont réitiré l'opération, mais cette fois avec un mixte, comprenant un supplément de 400 UI de vitamine E et des céréales non enrichies (cap400céré).
Des prélèvements sanguins ont été réalisés 72h après chaque prise alimentaire afin de mesurer la biodisponibilité de la forme de vitamine E ingérée.
Avantage aux céréales
De manière intéressante, la biodisponibilité de la vitamine E au cours des périodes d'ingestion de céréales (céré30 et céré400) s'est révélée respectivement 6 et 26 fois supérieure à celle constatée durant la prise unique du supplément fortement dosé (cap400).
Au cours du quatrième et dernier essai (cap400céré), trois des volontaires n'ont pas répondu à l'intervention, alors que les deux autres ont montré une biodisponibilité du mélange comparable à celle du supplément unique.
Cette étude relance donc le débat sur l'intérêt des suppléments de vitamine E, vu la faible absorption de la forme encapsulée.
En effet, en dépit de la présence d'un laitage écrémé pour accompagnement, la forme encapsulée de la vitamine E, même plus fortement dosée, présente au final une plus faible biodisponibilité que la vitamine E ajoutée aux céréales.
Pour les auteurs de l'étude, cette différence s'explique notamment par la présence de graisses dans les céréales, graisses qui favorisent l'assimilation de l'alpha-tocophérol, en particulier via la stimulation des sécrétions bilaires et pancréatiques.
La dispersion de la vitamine E dans l'aliment, au lieu d'une charge concentrée dans le supplément, joue probablement aussi une part considérable dans cette différence d'absorption.
Une remise en question?
Cette étude jette aussi un sérieux discrédit sur les études antérieures portant sur la vitamine E. Au cours des années 90, celle-ci a en effet fait l'objet de grandes études d'intervention avec des suppléments de vitamine E sur l'incidence des maladies cardiovasculaires (2,3,4). Les résultats de ces différentes études étaient pour le moins contradictoires.
Ceci peut être imputé, d'une part, à la faible biodisponibilité des suppléments et, d'autre part, à la grande variabilité interindividuelle des effets de la supplémentation, comme l'étude de Lenonard l'a bien démontré.
Ce dernier paramètre est, évidemment, beaucoup plus difficile à maîtriser dans des grandes études de population : quand les volontaires prennent-ils leur supplément et quelle est la teneur en graisse du repas éventuel qui l'accompagne? On ne peut logiquement pas standardiser pendant plusieurs années les repas de plusieurs milliers d'individus!
D'où la pertinence de petites études, aux résultats parfois encore plus interpellants…
Patrick Mullie
Diététicien
Sources :
(1). Leonard SW, Good CK, Gugger ET, Traber MG. Vitamin E bioavailability from fortified breakfast cereal is greater than that from encapsulated supplements. Am J Clin Nutr 2004;79:86-92.
(2). Rimm ER, Stampfer MJ, Ascherio A, Giovannucci E, Colditz GA, Willett WC. Vitamin E consumption and the risk of coronary heart disease in men. N Engl J Med 1993;328:1450–6.
(3). Stampfer M, Hennekens C, Manson J, Colditz G, Rosner B, Willett W. Vitamin E consumption and the risk of coronary disease in women. N Engl J Med 1993;328:1444–9.
(4). Stephens NG, Parsons A, Schofield PM, Kelly F, Cheeseman K, Mitchinson MJ. Randomised controlled trial of vitamin E in patients with coronary disease: Cambridge Heart Antioxidant Study (CHAOS). Lancet 1996;347:781–6.