Voilà plus de trente ans que le caractère saturé ou insaturé des acides gras (AG) représente pratiquement le seul critère pour la qualité de la ration lipidique. L’amalgame entre teneur en acides gras poly-insaturés (AGPI) et “bonnes graisses” en est l’héritage, laissant dans l’ombre la nature de ces différents AG et leur répartition au sein des deux grandes familles : oméga-6 et oméga-3. Et en pratique, les sources d’AGPI les plus représentées dans la chaîne alimentaire (huiles de tournesol, de maïs… et produits élaborés avec ces huiles) sont riches en oméga-6 et pauvres en oméga-3.
Vent d’oméga-3
De nombreuses données épidémiologiques et études d’intervention ont révélé l’importance des acides gras oméga-3, en particulier (mais pas seulement) dans le cadre de la diminution du risque cardiovasculaire. L’acide alpha-linolénique (C18:3 n-3), le chef de file de la série oméga-3, est au premier plan, mais ses dérivés supérieurs, l’acide eicospentaénoïque (C20:5 n-3 ou EPA) et l’acide docosahexaénoïque (C22:6 n-3 ou DHA) ne sont pas en reste.
Bien que le premier puisse donner naissance, dans l’organisme, aux deux autres, on estime que dans le meilleur des cas, le taux de conversion n’est que de 10 %.
Plusieurs organismes, dont l’American Heart Association (AHA) et l’International Society for the Study of Fatty Acids and Lipids (ISSFAL), ont déjà souligné l’importance à accorder aux omega-3.
En Belgique, les choses vont changer, puisque la prochaine mouture des recommandations nutritionnelles inclura des apports chiffrés pour les oméga-3. Ils ont été dévoilés par le Prof. H. Henderickx (Conseil National de la Nutrition) à l’occasion du 5e congrès de Nutrition et Santé (Cf. tableau).
Recommandations belges pour l’apport en lipides
(en % de l’énergie totale)* |
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Anciennes(1996)
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Nouvelles
(à paraître) |
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Lipides totaux |
max 30
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idem
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Acides gras saturés |
max 10
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idem
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Acides gras mono-insaturés |
Par différence
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> 10
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Acides gras poly-insaturés |
3 à 7
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5,3 à 10
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Acides gras trans |
-
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< 1
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n-6 |
-
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4 à 8
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Acide linoléïque (LA) |
-
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> 2
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n-3 |
-
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1,3 à 2
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Acide alpha-linolénique (ALA) |
-
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> 1
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EPA (C20:5 n-3) + DHA (C22:6 n-3) |
-
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> 0,3
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Des chiffres… aux lettres
Ces nouvelles recommandations offrent désormais une assise concrète pour accorder les violons des discours, parfois très divergents, visant à atteindre l’équilibre lipidique. Elles mettent aussi en exergue le fait que l’on ne peut se contenter d’une seule source d’oméga-3 (le colza ne remplace pas le poisson gras et vice versa ) et qu’il importe de puiser de l’ALA mais aussi ses dérivés supérieurs (EPA + DHA).
En pratique, la couverture de l’apport recommandé en ALA peut être atteinte en choisissant les huiles végétales ad hoc ou les produits à base de ces huiles. A titre de comparaison, pour un régime de 2400 kcal (10030 kJ), il faut 5 c à c d’huile de noix ou 7,5 c à c d’huile de colza pour atteindre l’objectif ALA (2,66 g).
La situation se complique singulièrement pour les oméga-3 hautement poly-insaturés. Ceux-ci se concentrent surtout dans les poissons, mais pas dans tous : les poissons maigres tels que le cabillaud (le plus consommé chez nous), le brochet, l’aiglefin, la lotte, le merlan, la perche, la raie ou le sandre, ne contiennent que très peu de lipides qui, de surcroît, sont localisés essentiellement dans le foie. En supposant qu’il n’y ait que le poisson comme source d’EPA et de DHA, il faudrait consommer chaque semaine environ 230 g de poisson gras ou 860 g de poisson mi-gras pour atteindre les 800 mg de EPA + DHA préconisés pour un bilan énergétique de 2400 kcal (10030 kJ).
A moins d’être un inconditionnel du poisson gras, la couverture des nouveaux apports recommandés en EPA et DHA ne semble pas facile à obtenir. Compte tenu des habitudes de consommation de poisson, nous sommes loin du compte. Une enquête néerlandaise récente rapporte que la consommation de poisson est d’environ 10 g par jour, et que c’est le cabillaud (poisson maigre) qui est consommé dans 32 % des cas.
Le discours en faveur d’une majoration de la consommation de poisson, avec au moins une fois par semaine la présence de poisson gras, est donc plus justifié que jamais.
Les nouvelles recommandations apportent aussi une certaine légitimité aux aliments dont on a volontairement majoré le contenu en oméga-3, que ce soit par le choix des matières premières, de l’enrichissement des aliments et/ou de la modification de l’alimentation animale. Elles annoncent aussi la couleur d’un nouveau défi : celui de disposer de données suffisamment précises concernant la composition en acides gras des aliments. Un défi incontournable pour connaître et suivre l’évolution de la consommation en ces acides gras et du rapport entre les oméga-6 et les oméga-3.
Principales sources d’oméga-3 dans l’alimentation
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ALA
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EPA + DHA
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Huiles de lin, de noix, de colza, de germe de blé et de soja
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Poissons gras (> 5 % lipides) : anguille, hareng (maatjes), maquereau, sardine, saumon, truite, truite saumonée Poissons mi-gras (1-5 % de lipides) : anchois, carpe, colin, crevette, dorade, flétan, plie, sébaste, sole, turbot |
Produits élaborés à partir de ces huiles non-hydrogénées (certaines matières grasses, certaines sauces dressing…)
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Aliments enrichis en huiles de poisson (certaines matières grasses, lait…)
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Certains oeufs de poules nourries avec un régime riche en oméga-3
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Certains oeufs de poules nourries avec un régime riche en oméga-3
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Nicolas Guggenbühl
Diététicien Nutritionniste
* Présentées à l’occasion du 5e Congrès de Nutrition et Santé, Bruxelles, 15 et 16 novembre 2002.