L'intestin est le premier système de défense de l’organisme contre les agresseurs extérieurs. Pour le protéger, il érige deux sortes de fortifications, véritables tours « imprenables », qui tapissent sa paroi sur toute sa longueur : le mucus, qui enduit l’épithélium et évite de ce fait tout contact direct avec les microorganismes, et le système immunitaire intestinal, encore appelé GALT (Gut-Associated Lymphoid Tissue). Ce dernier se compose d’amas lymphoïdes contenant des cellules immatures, dont les plus importantes sont les plaques de Peyer, et de cellules matures disséminées dans la lamina propria et l’épithélium des villosités (lymphocytes, macrophages,…). Vu le nombre considérable de cellules immunes en activité dans la muqueuse intestinale (2 fois plus que dans le compartiment systémique !), ce noble viscère est considéré comme le premier organe lymphoïde de l’organisme.
L’intestin se défend avec ses tripes
Les fonctions du système immunitaire intestinal sont apparemment contradictoires, souligne le Prof. Moreau (Jouy-en-Josas, France). L’une, la tolérance induite par voie orale, est d’empêcher le développement de réponses immunes contre les protéines étrangères à l’organisme que sont les protéines alimentaires et bactériennes présentes en permanence dans le tube digestif.
Si le GALT ne fait pas suffisamment preuve d’indulgence à leur égard, on peut voir apparaître des réactions d’hypersensibilité alimentaire, dont fait partie l’allergie aux protéines de lait de vache, et des réactions inflammatoires exagérées de l’appareil digestif, comme la maladie de Crohn ou la recto-colite ulcérohémorragique. L’autre fonction du GALT, précise la physiologiste, est, au contraire, de développer des réponses immunes protectrices contre les bactéries opportunistes entéropathogènes (Rotavirus, salmonelles,…), par la synthèse, en particulier, d’anticorps IgA, parfaitement adaptés au milieu intestinal.
De plus en plus d’études, faisant appel à des souris gnotoxémiques (des souris dont l’intestin, d’abord stérile, est ensuite colonisé par des bactéries connues), montrent clairement que la flore intestinale exerce une action modulatrice très importante sur le GALT. Elle peut le stimuler ou au contraire le réprimer en fonction des bactéries qui colonisent le tube digestif.
Moins d’antibiotiques dans la petite enfance ?
L’équilibre microbien a donc un effet très important sur le développement du GALT, en particulier chez le petit enfant, quand celui-ci est en phase de maturation pendant les 6 premiers mois de vie. A ce propos, on se pose aujourd’hui de plus en plus de questions quant à l’usage généralisé des antibiotiques dans la petite enfance (1). Certains chercheurs vont même plus loin en mettant en avant une relation entre la plus forte prévalence actuelle d’asthme et d’allergies dans nos populations et l’usage d’antibiotiques. Selon eux, chez les petits enfants, cette attitude thérapeutique peut mettre en péril l’équilibre même de leur flore intestinale. Des études récentes montrent, par exemple, qu’avec l’érythromycine, la microflore change de configuration et ne retrouve pas, après traitement, sa composition originale.
Tous les traitements antibiotiques, à l’exception du cotrimoxazole, détruisent les populations de bifidobactéries. L’amoxycilline empêche de surcroît, très longtemps après la fin de la cure, une nouvelle colonisation par cette famille bactérienne. L’impact des antibiotiques sur notre flore intestinale est donc profond et il s’agit là d’un revers de la médaille dont les implications restent méconnues. D’après le Prof. Moreau, s’ils préviennent et soignent bon nombre d’infections, ils peuvent altérer la maturation immunitaire et pourraient contribuer à précipiter la survenue de maladies atopiques, le développement de germes entéropathogènes, comme le Rotavirus, voire le déclenchement de maladies inflammatoires de l’intestin.
De l’anti-biotique à la pro-biotique ?
Faire disparaître les « bonnes » bactéries tend à dérégler nos défenses immunitaires. Si cela a déjà été largement démontré dans les modèles de souris axéniques, une étude récente (1) a ainsi montré, dans une population estudiantine américaine, que l’exposition à des antibiotiques durant la première année de vie entraînait un risque accru (environ 3 fois supérieur) d’asthme, de rhume des foins et d’eczéma atopique, par rapport aux enfants (des Mormons) n’ayant jamais reçu d’antibiotiques dans cette tranche d’âge. D’autres études montrent que l’absence de « bonnes » bactéries se fait ressentir chez les enfants allergiques. On a ainsi pu constater que l’intestin des enfants allergiques était moins colonisé par les lactobacilles. Des essais de prévention ont déjà montré que la supplémentation de lactobacilles pouvait réduire la sévérité de la dermatite atopique. Au demeurant, récemment, un essai clinique randomisé avec placebo (2) a montré que la consommation de probiotiques pendant la grossesse augmentait le potentiel immunoprotecteur du lait maternel. Dans cette étude finlandaise, les femmes qui avaient reçu le probiotique ont exprimé dans leur lait une plus grande proportion de cytokine anti-inflammatoire TGF-bêta2 (2885 pg/ml) par rapport aux femmes enceintes du groupe contrôle (1340 pg/ml). Le risque de développer un eczéma atopique a, par la suite, été estimé chez les enfants des deux groupes jusqu’à l’âge de deux ans. Il était environ trois fois plus faible chez les enfants nés de mères ayant reçu un probiotique durant la maternité (respectivement 15 % et 47 %).
Le futur appartient aux probiotiques
Beaucoup de travaux sont encore nécessaires toutefois, conclut le Prof. Moreau, pour mieux comprendre comment, et aussi dans quelles conditions (dose, adhésion au mucus intestinal,…) les probiotiques peuvent agir. On peut penser que leurs effets seront d’autant plus efficaces que la microflore, fragile (jeune enfant) ou bien perturbée (stress, prise d’antibiotiques, maladies du tube digestif,…) n’est pas, ou plus, capable d’exercer pleinement son action stimulante sur le système immunitaire intestinal. Dans ce sens, l’ingestion de probiotiques peut constituer un moyen facile et agréable, quand il est associé à l’alimentation, pour réguler au mieux l’équilibre immunitaire de l’organisme tout entier. Restent toutefois encore à préciser les espèces bactériennes réellement utiles et les conditions dans lesquelles elles s’expriment de manière optimale, en tenant compte de l’âge (enfant, adulte, vieillard), du traitement éventuel d’une maladie (stimulation de l’immunité anti-infectieuse, diminution des réactions allergiques ou inflammatoires,…) ou encore la prévention de pathologies à long terme (cancer ?,…).
Nicolas Rousseau
Diététicien Nutritionniste
Références :
(1)Fermented Foods and Healthy Digestive Functions. Nutrition and Health Collection. Danone Vitapole Research 2001. ISBN 2-7420-0365-7.
(2) Samuli Rautava MD et al. Probiotics during pregnancy, lactation, may promote immunoprotection against atopic eczema. J Allergy Clin Immunol 2002, vol 109, n°1 pp 117-121.