L'adolescence est une période de reconstruction de l’identité. Dans ce contexte, les goûts alimentaires jouent le même rôle que d’autres goûts (vestimentaires, musicaux, idéologiques) permettant de constituer des groupes sociaux fonctionnant avec des règles propres et différentes à la fois de celles des enfants et des adultes. Aujourd’hui, la déstructuration des repas est un phénomène qui gagne non seulement les adolescents, mais également la famille dans son intégralité. Les occasions sont souvent de moins en moins nombreuses de prendre un repas en famille et il n’est pas rare que l’adolescent mange seul, d’autant plus souvent s’il vit en kot. L’influence parentale vis-à-vis de l’alimentation se fait donc moins forte au profit des pressions commerciales, médiatiques ou encore liées à la bande de copains ou de copines. C’est pourquoi l’on assiste à une nouvelle orientation des choix alimentaires de certains adolescents. Plus personnels, ils sont dirigés vers des aliments attractifs comme les plats préparés. Beaucoup d’adolescents se tournent également volontiers vers les pauses snacks ou grignotent de manière intempestive, décalant dans la journée les prises alimentaires et donc les “vrais” repas.
L’Amérique à table, ou dans le salon…
La génération actuelle est née dans le “boom” de la restauration rapide et des fast food qui récoltent un franc succès dans la tranche d’âge des 12-21 ans, même s’il faut relativiser la fréquentation de ces établissements par les adolescents. Ce qu’ils y cherchent tient plus à la façon de manger, en toute liberté et entre pairs, qu’à ce qu’ils mangent. En effet, une enquête récente, effectuée en France, montre que les adolescents se rendent en moyenne 2,4 fois par mois dans un fast food. Ils sont donc loin d’y passer leur vie ! (1) Un autre phénomène, en forte augmentation dans la population “estudiantine”, est le “coach potatoes”, un terme dérivé de l’américain qui signifie littéralement, “patate canapé”. La métaphore parle d’elle-même et force est de constater que manger devant la télévision est de plus en plus fréquent et ce, dès le petit déjeuner, particulièrement dans les milieux défavorisés où la maman ne travaille pas. Une étude belge a montré par ailleurs que le nombre d’heures passées devant l’écran serait directement corrélé avec l’indice de masse corporelle et augmente sensiblement avec l’âge. (2) L’overdose de tube cathodique n’est donc pas forcément étrangère à l’augmentation spectaculaire de l’obésité dans la population adolescente de la fin des années soixante au début des années nonante. (3)
Mais la force de la tradition…
L’influence de la tradition demeure cependant très forte en Belgique, particulièrement à l’égard des aliments très gras, comme le montre très bien une étude réalisée récemment dans la province du Luxembourg auprès d’un échantillon de 1526 adolescents âgés de 12 à 17 ans (4). Respectivement 46 % et 60 % des adolescents interrogés ne mangent pas quotidiennement des fruits ou des légumes. La plupart d’entre eux (72%) consomment cependant au moins un produit laitier par jour, généralement gras. Le chocolat et les frites remportent toujours un franc succès, loin devant le hamburger (un aliment “d’importation”). Environ un tiers (33%) des adolescents boivent de l’alcool au moins une fois par semaine et cette proportion grimpe à 57 % chez les plus âgés, mais diffère généralement selon le niveau d’éducation. L’apport de graisses est globalement excessif (principalement en graisses saturées) chez deux tiers des adolescents et dépasse allègrement 35 % de l’apport calorique total. Les glucides complexes représentent, quant à eux, moins de la moitié des apports alimentaires de glucides totaux.
Les habitudes alimentaires évoluent
Curieusement, le choix des aliments peut également évoluer fortement au cours de l’adolescence, parfois radicalement sur quelques années. Ceci montre bien la transition entre les événements majeurs de la vie d’un jeune (départ du domicile parental, sorties entre copains,…). Ainsi, une étude suédoise (5) montre qu’à 17 ans, les adolescents mangent significativement plus de pâtes, de café et de thé, mais moins de lait qu’à l’âge de 15 ans. De 17 à 21 ans, la consommation de pain, de lait, de pommes de terre et de matières grasses tartinables chute. Inquiétant, quand on sait l’importance des produits laitiers à cet âge de la vie et la non moins importante place des glucides dans l’alimentation équilibrée.
Des différences marquées selon le sexe
Les différences entre garçons et filles sont visibles, les demoiselles choisissant souvent un mode alimentaire plus sain, car elles comprennent mieux la notion de prévention. Cependant, l’éloge actuel de la minceur les expose plus souvent au risque de déficiences nutritionnelles. Ainsi, selon les résultats de deux études (6, 7) menées par l’équipe de S. De Henauw (Département de santé publique, Université de Gand) auprès d’adolescents de six écoles primaires de la région de Gand, l’alimentation des adolescentes âgées de 14 à 18 ans ne couvre manifestement pas leurs besoins en calcium, mais surtout en fer. Cette tendance s’observe également dans d’autres pays européens. (8)
D’une génération à l’autre, on observe dans l’adolescence une tendance extrême à se simplifier la vie, avec une intolérance grandissante aux tâches répétitives et fastidieuses. La contribution des produits frais à cuisiner soi-même est de moins en moins importante. Cette évolution ouvre des opportunités pour l’industrie alimentaire, qui doit relever le défi de mettre sur le marché des produits prêts à consommer, bons, diversifiés et de bonne qualité nutritionnelle. Des progrès restent à faire pour encourager la consommation des fruits et légumes frais, dont l’intérêt nutritionnel n’est plus à démontrer. Dédaignés surtout par les plus jeunes, seuls sont sélectionnés les produits faciles à consommer : tomates, mandarines, bananes, … Est-ce la place pour les aliments fonctionnels ? L’avenir nous le dira.
Nicolas Rousseau
Diététicien Nutritionniste
Références :
1. Danone. La lettre de l’Institut Danone, Juin 2000. L’alimentation de l’adolescent (Hors série)
2. Guillaume et al. Obes Res 1997 Nov ; 5(6) : 549-556.
3. Hulens et al. Int J Obes Relat Metab Disord 2001 Mar ;25(3) :395-399.
4. Paulus et al. Eur J Clin Nutr 2001 Feb;55(2):130-136
5. von Post-Skagegard et al. Ann Nutr Metab 2001 Aug;45(suppl 1): 495.
6. Mathys, De Henauw et al. Ann Nutr Metab 2001 Aug;45(suppl 1): 489.
7.De Henauw, Mathys et alAnn Nutr Metab 2001 Aug;45(suppl 1):483.
8. Lluis Serra Majem. Public Health Nutrition 2001 Feb: 4(1A) :101-107