Au cours des vingt dernières années, un nombre considérable d’études rétrospectives cas-contrôles et plus récemment d’enquêtes prospectives ont été conduites pour évaluer si, dans une population donnée, le régime alimentaire est lié au risque de cancer au niveau individuel. L’ensemble des résultats collectés au cours de ces études a été revu par trois comités d’experts (1,2,3). Leurs conclusions sont similaires : ils estiment que la corrélation la plus clairement identifiée est celle reliant la consommation de fruits et légumes à la diminution du risque de cancers du tractus digestif et respiratoire. Une ingestion quotidienne de fruits et légumes induirait une diminution du risque de cancers de la bouche, du larynx, de l’œsophage et de l’estomac ; par contre, une alimentation riche en légumes - non en fruits - diminuerait le risque de cancer colorectal.
La liste des aliments à effet inducteur de cancer est heureusement très courte et se limite à la viande rouge et au poisson salé. Ce dernier accroîtrait le risque de cancer du nasopharynx tandis que la viande rouge celui du cancer colorectal. Si ces corrélations ont été clairement démontrées, par contre, les mécanismes d’action ne sont pas définis. En conséquence, la seule recommandation de santé publique pouvant être diffusée à la population générale consiste à conseiller de manger des fruits et légumes tous les jours. Pour que les autorités politiques puissent mettre au point une stratégie d’intervention nutritionnelle, il est indispensable d’approfondir cette corrélation “alimentation et cancer” d’autant plus que les observations les plus récentes insinuent qu’elle ferait intervenir des variables liées à la nutrition telles que les caractéristiques anthropométriques, l’activité physique et les variations du métabolisme hormonal (4). Une surveillance nutritionnelle et métabolique jointe à un suivi de l’évolution de l’état de santé de sujets sains permettrait probablement de faire progresser l’état des connaissances dans le domaine et de dénouer l’écheveau de ces relations enchevêtrées. C’est précisément le principal objectif du réseau européen d’études prospectives “alimentation et cancer” (EPIC) coordonné par le Centre International de Recherche du Cancer (CIRC,OMS, Lyon) lancé en 1993 et dont les premiers résultats sont attendus prochainement.
Neuf pays et vingt-deux centres
EPIC regroupe neuf cohortes réparties dans vingt-deux centres disséminés dans neuf pays européens. Citons du Nord au Sud : la Suède, le Danemark, le Royaume-Uni, l’Allemagne, les Pays -Bas, la France, l’Espagne, l’Italie et la Grèce. Les volontaires de ces différentes cohortes sont recrutés à partir de populations cibles variées : donneurs de sang, assurés sociaux, population générale ou encore participantes de programmes de dépistage du cancer du sein. Les personnes éligibles ont été invitées à participer à l’étude par courrier. Les volontaires ont signé un formulaire de consentement et ont ensuite reçu les questionnaires à remplir à domicile. Les questions posées concernaient le niveau d’éducation, l’emploi actuel et les occupations précédentes, l’alimentation, la consommation de tabac et d’alcool, l’activité physique, la santé et la prise de médicaments hormonaux. Les volontaires ont ensuite été priés de se rendre dans un centre clinique pour prise de sang et mesures anthropométriques. L’identification des cas de cancer s’est basée essentiellement sur les registres de cancer. A l’heure actuelle, EPIC englobe 484 042 sujets ayant complété les différents questionnaires ; 387 256 d’entre eux ont fourni des échantillons sanguins stockés dans la banque biologique de Lyon.
Du Nord au Sud de l’Europe
“Plusieurs publications scientifiques sont en préparation”, précisait N. Slimani du CIRC au cours de la dernière réunion du comité de pilotage d’EPIC (Lyon, 22 au 24 janvier 2001) ; elles décriront les consommations des aliments de chaque grand groupe alimentaire dans les neuf pays du réseau EPIC. Comme il était attendu, les habitudes alimentaires des sujets recrutés sont variées et ces différences sont une des richesses d’EPIC. Elles permettront de mettre davantage en évidence l’impact de chaque groupe d’aliments sur le risque de cancer. De plus, la constitution de la banque biologique fournira du matériel pour analyser dans les années à venir les facteurs génétiques et métaboliques liés à la nutrition sans compter leurs éventuelles interactions.
Les premiers résultats de cette étude “mammouth” seront présentés au cours de la conférence internationale “alimentation et cancer” organisée par le CIRC au Palais des Congrès de Lyon du 22 au 24 juin 2001.
Virginie Wilpart
Diététicien Nutritionniste
Bibliographie.
1. COMA Working group on diet and cancer, Nutritional aspects of the development of cancer, UK Department of Health Report on Health and Social Subjects, no 48, Norwich :HMSO, 1998.
2. Riboli E, Decloître F, Collet – Ribling C eds, Alimentation et cancer : Evaluation des données scientifiques, Paris, Lavoisier, 1996.
3. WCRF/AICR. Food, nutrition and the prevention of cancer : a global perspective, London / Washington ; World Cancer Research Fund / American Institute of Cancer Research, 1997.
4. Riboli E. The European Prospective Investigation into Cancer and Nutrition : Perspectives for Cancer Prevention, Cancer and nutrition, Prevention and Treatment : J.B.Mason ; G.Nitenberg eds, Vol 4, p117-133 (2000).