Les probiotiques protègent-ils contre les manifestations allergiques ? Pour les uns, la réponse est oui ; pour d’autres, c’est non. En fait, il faut tenir compte de toutes les données des études pour en tirer des conclusions. Et ces conclusions ne sont sans doute pas transposables d’une étude à une autre.
Depuis pas mal de temps déjà, il est question dans la littérature médicale d’un effet bénéfique des probiotiques (ou de certains d’entre eux) sur l’atopie et ses manifestations (asthme, eczéma, rhinite, conjonctivite, …). Ce bénéfice se situerait tant dans le champ de la prévention que dans celui du traitement. Au récent Congrès Mondial sur l’Allergie, qui s’est tenu à Munich en juin dernier, le sujet est largement revenu dans les débats. Et les résultats sont contradictoires.
De bonnes bases
On a de bonnes raisons de penser, notamment en raison de l’hypothèse hygiénique (manque de contact avec des antigènes pendant la phase de tolérance du début de la vie), que certains microbes ont un rôle à jouer dans le développement de l’immunité et dans le risque d’allergies. Mais si c’est le cas, on ignore encore largement quels types d’agents pourraient être protecteurs, à quel moment le contact serait le plus souhaitable, pendant combien de temps il faudrait être porteur de ces germes, quels sont les mécanises de cette action, etc.
Zaharov et al. ont mis sur pied une étude concernant trois espèces bactériennes : Lactobacillus acidophilus (Rossel -52), Lactobacillus ramnosus (Rosell-11) et Bifidobacterium longum, (Rosell-175). Leur objectif était de voir si ces bactéries, prises en quantités contrôlées, étaient capables d’améliorer la qualité de vie de 32 patients souffrant de manifestations allergiques et de leurs parents, par rapport à celle de 22 autres patients du même type, qui n’auraient pas ingurgité ces agents. Après 30 jours de prise, il est apparu que dans les trois groupes ayant reçu des probiotiques, les scores de qualité de vie s’étaient nettement améliorés. Cela a amené les auteurs à conclure que les trois souches testées exerçaient un effet bénéfique dans la prévention et le traitement des allergies, vraisemblablement en inhibant la sécrétion de cytokines du profil lymphocytaire Th2. Ces lymphocytes auxiliaires de type 2 sécrètent en effet un ensemble de cytokines qui, lorsqu’elles sont abondantes, favorisent des réactions de type allergique. Pour l’équipe yougoslave, il est donc évident que la colonisation bactérienne du tube digestif est cruciale pour le développement harmonieux de l’immunité. La présence ou l’absence de certaines bactéries serait un facteur déterminant de l’orientation prise par le système immunitaire.
La balance du bon côté
Dunstan et al. (Australie) sont allé encore un peu plus loin. Considérant que les probiotiques étaient bénéfiques dans la prévention et le traitement de la dermatite atopique modérée, mais qu’on ne possédait guère de données sur leur effet dans les formes sévères, ils ont monté une étude auprès de 56 enfants âgés de 6 à 18 mois. Il s’agissait d’un essai randomisé, en double aveugle, contre placebo. Ces enfants présentaient des scores élevés de sévérité de leur dermatite atopique. Le groupe test a reçu comme probiotique Lactobacillus fermentum PCC™. Le groupe témoin a reçu un placebo. Il y avait deux prises par jour, pendant huit semaines. Les scores de gravité ont été évalués au début de l’étude, à 8 semaines et à 16 semaines (soit 8 semaines après l’arrêt de la prise). Des monocytes du sang périphérique ont été prélevés aux mêmes moments et stimulés en cultures par mise en contact avec des Lactobacillus fermentum tués à la chaleur, des staphylocoques dorés tués eux aussi par la chaleur, de l’ovalbumine, des allergènes d’acariens de maison, l’entérotoxine B du staphylocoque doré (SEB) ou encore un agent mitogène, la phyto-hémaglutinine (PHA). Plusieurs cytokines ont été mesurées dans le surnageant de ces cultures.
Dans le groupe « probiotique », on trouvait, à 16 semaines, significativement plus d’enfants (92%) ayant amélioré leur score que dans le groupe sous placebo (63%). Les auteurs n’ont toutefois pas noté de modification des cytokines du profil Th2. Par contre, après stimulation des monocytes par la PHA ou le SEB, la libération d’interféron gamma (IFN-gamma), une cytokine du profil Th1 (réaction immunitaire normale) s’était amplifiée à 8 semaines et à 16 semaines. La libération de Tumor Necrosis Factor alpha (TNF-alpha), une cytokine pro-inflammatoire, avait également augmenté en réponse à la stimulation par des lactobacilles et des staphylocoques tués. Quant aux réponses spécifiques aux allergènes testés, elles n’étaient pas modifiées.
On retrouve donc non seulement une amélioration clinique attestée par les scores de gravité, mais aussi devant une probable modification favorable de l’équilibre Th1/Th2. On sait que si cet équilibre est en faveur des Th2, il induit une réaction allergique, tandis que si les Th1 sont suffisamment actifs, on peut s’attendre à une réponse immunitaire normale.
Pas tous d’accord
Toutes les études ne donnent pourtant pas des conclusions allant dans le même sens. Gore et al. ont étudié 137 enfants âgés de 3 à 6 mois et porteurs d’une dermatite atopique diagnostiquée par une médecin. Ces enfants on reçu un régime dépourvu de produits laitiers et randomisés pour recevoir pendant trois mois Lactobacllus paracasei, Bifidobacterium lactis ou un placebo. Une période de run-in avait été prévue, au cours de laquelle des soins cutanés classiques de la dermatite atopique étaient donnés aux enfants. Au moment de la randomisation, les scores de sévérité de l’affection étaient comparables dans les trois groupes.
Après quatre semaines de traitement, ainsi qu’après douze semaines, ces scores restaient comparables entre eux, pour les trois groupes. Dans les deux groupes expérimentaux, les germes étaient détectables dans les selles tout au long de la phase d’intervention. Pour les auteurs, aucun des deux germes étudiés n’exerce donc d’effet curatif sur la dermatite atopique, en tout cas à court terme.
De quoi parle-t-on ?
On pourrait continuer ainsi la liste des essais allant dans un sens aussi bien que dans l’autre. Devant l’apparente incohérence des résultats, il ne faut cependant pas se laisser aller à la perplexité. La bonne attitude consiste à prendre chaque étude une à une et à voir quel probiotique a été utilisé, de quelle manière et quels critères d’efficacité ont été retenus. Sans doute faudrait-il s’interroger sur la valeur de ces critères : vaut-il mieux se fier à des tests de laboratoire, à des évaluations cliniques ou à la perception du patient ? Peut-être que si l’on se mettait d’accord sur une série de questions, comme le type d’affection concerné, la souche utilisée etc. on parviendrait plus aisément à cerner le problème. Mais au-delà de cette question de méthodologie, il ne fait pas de doute qu’une interaction existe entre probiotiques et immunité.
Dr Jean Andris
Références :
Dunstan, JA et al. Probiotics are associated with persistent clinical improvement and immunological effects in very young children with atopic dermatitis: a randomised controlled trial. World Allergy Congresss (Munich, 26/6 – 1/7/2005). Abstract 1574
Gore C. et al. Probiotics in Atopic Dermatitis in Infancy (PADI) Study: Lactobacillus paracasei and Bifidobacterium lactis do not improve the short-term clinical outcome of atopic dermatitis. World Allergy Congresss (Munich, 26/6 – 1/7/2005). Abstract 116.
Zaharov T. et al. Treatment of allergic diseases with lactic acid bacteria. World Allergy Congresss (Munich, 26/6– 1/7/2005). Abstract 1388.