Le lycopène, pigment qui confère à la tomate sa belle couleur rouge, est considéré depuis plusieurs années comme un des phytochimiques les plus prometteurs de la pharmacopée végétale. Ce caroténoïde, qui n'a pas d'activité vitaminique A, est largement préconisé pour réduire le risque de cancer de la prostate ou pour en freiner l'évolution. Un usage qui semble précipité, au vu des résultats d'une des plus grandes études ayant évalué le rôle des concentrations sanguines en lycopène et autres caroténoïdes dans la prévention du cancer de la prostate.
Mécanisme antioxydant
Plusieurs travaux antérieurs ont apporté un certain crédit à la thèse d'un effet protecteur pour le lycopène, en associant notamment un risque plus faible de cancer de la prostate en fonction de la consommation de lycopène alimentaire, dont les principales sources sont la tomate et les produits à base de tomate. C'est son caractère antioxydant qui est avancé pour expliquer cet effet protecteur, sachant qu'il peut neutraliser des espèces hautement réactives susceptibles d'endommager l'ADN et d'autres composants cellulaires. Les dégâts causés par les radicaux libres augmentant avec l'âge, tout comme le risque de cancer de la prostate, les scientifiques se sont jusqu'à présent essentiellement appuyés sur cette thèse.
Mais au fil des années, force est de constater que les résultats des études récentes n'ont pas été en mesure d'accréditer la thèse, et ont même surtout semé le doute, compte tenu de leur hétérogénéité. Cette fois, c'est un coup dur venant d'une large étude prospective, issue d'une cohorte de plus de 28.000 hommes enrôlés dans la Prostate, Lung, Colorectal, and Ovarian (PLCO) Cancer Screening Trial.
Caroténoïdes sous la loupe
Les participants, âgés de 55 à 74 ans et exempts de cancer de la prostate à l'inclusion, ont été suivis pendant 8 ans, après s'être vu prélever un échantillon sanguin pour en faire l'analyse des caroténoïdes suivants: lycopène, alpha-carotène, bêta-carotène, bêta-cryptoxanthine, lutéine et zéaxanthine.
Les résultats ne montrent aucune différence significative dans la concentration sanguine en lycopène de ceux qui ont développé un cancer de la prostate et ceux qui n'en ont pas développé. Le seul caroténoïde qui sort du lot (mais pas dans le bon sens) est le bêta carotène, pour lequel une concentration sérique élevée est associée à un risque accru de formes agressives de cancer de la prostate.
La FDA s'en mêle
Un mois après la publication de cette étude, la Food and Drug Administration, qui avait reçu une demande d'autorisation pour une allégation portant sur le lycopène, la tomate et le cancer de la prostate, faisait le point de la situation, et concluait, sur base de sa revue des données disponibles, que les preuves soutenant une association entre la consommation de tomates et le risque réduit de cancer du poumon, du colorectum, du sein, du cerveau et de l'endomètre sont très limites.
Cette déception sur le lycopène et la tomate ne gâche cependant pas l'intérêt des tomates et des produits à base de tomates dans une alimentation saine, y compris dans le contexte d'une alimentation qui s'inscrit dans une approche préventive du cancer, mais ni plus ni moins que les autres végétaux.
Par Nicolas Guggenbühl
Peters U et al. Cancer Epidemiol Biomarkers Prev 2007;17(5):962-8. Kavanaugh CJ et al. J Natl Cancer Inst 2007;99(14):1074-85.