Le bêta-carotène, principal pigment coloré de la grande famille des caroténoïdes, cumule les mandats : il est à la fois le plus actif des précurseurs de la vitamine A, et un antioxydant puissant. La théorie radicalaire suppose que les radicaux libres favorisent le cancer, et que les « boucliers » antiradicalaires que sont les antioxydants exercent un effet protecteur. Une logique qui a propulsé le bêta-carotène tantôt sur le podium des stars « anticancer », tantôt dans les abîmes des échecs de la « nutriprévention »…
Des échecs
Bien des études ont rapporté une association inverse entre la consommation alimentaire de bêta-carotène et un risque plus faible de cancers. Comme le tabagisme est une source d’exposition importante aux radicaux libres (chaque bouffé en génère plusieurs milliards !), on pensait qu’il pouvait réduire le risque de cancer chez le fumeur. D’où l’idée d’administrer des suppléments de bêta-carotène à des fumeurs. Une pratique qui s’est avérée désastreuse. L’étude finlandaise dite « ATBC », menée auprès de quelque 29 000 fumeurs, a montré que le risque de cancer du poumon était significativement augmenté par la prise du supplément de bêta-carotène (1). Des résultats semblables ont été enregistrés dans l’étude CARET, ce qui a précipité la chute médiatique du caroténoïde (2)
Nouveaux espoirs
Aujourd’hui, la « nutriprévention » surfe sur des vagues plus raisonnables, avec des doses dites nutritionnelles, proches de ce qui peut être atteint via les aliments. Avec à la clé des résultats parfois positifs, comme c’était le cas récemment dans l’étude SUVIMAX, où la prise de 5 antioxydants (dont le bêta-carotène) a engrangé une réduction du risque de cancer chez l’homme (mais pas chez la femme) de près d’un tiers (Cf. Health and Food n° 60).
Une nouvelle étude effectuée en France, auprès de quelque 60000 femmes enrôlées dans l’Etude Epidémiologique de Femmes de la Mutuelle Générale de l’Éducation Nationale (E3N) apporte de l’eau au moulin. L’apport en bêta-carotène a été classé en 4 groupes : de « 1 » à « 3 » selon l’apport alimentaire, et « 4 » pour la prise de suppléments.
À contre-courant
Les résultats montrent que chez les femmes qui n’ont jamais fumé, l’apport en bêta-carotène est inversement associé au risque de développer un cancer lié au tabac (qui comprennent notamment les cancers pulmonaires, colorectaux, thyroïdiens, ovariens, et cervicaux). Plus surprenant, c’est le contraire qui est observé chez celles qui fument : le risque de cancer est plus élevé dans le groupe « 4 » pour l’apport en bêta-carotène (suppléments).
Taux absolus de cancers au tabac calculés
pour 10 000 personnes (en 10 ans) |
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Apport (alimentaire)
en bêta carotène bas |
Apport en bêta carotène élevé (suppléments)
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Fumeur
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174,0
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368,3
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181,8 81,7
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181,8
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81,7
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Cette étude montre donc que le tabagisme influence le caractère protecteur (ou agresseur) d’un nutriment tel que le bêta-carotène. Et que les femmes qui espéraient gommer certains effets du tabagisme par la prise d’un supplément ont… un retour de flamme.
Les auteurs précisent tout de même qu’il n’y a aucune justification pour les fumeurs d’éviter les aliments naturellement riches en bêta-carotène (fruits et légumes colorés). Il ne manquerait plus que ça !
Nicolas Guggenbühl
Réf
ATBC Cancer Prevention Study Group. N Engl J Med 1994;330:1029-35.
Omenn GS et al. N Engl J Med 1996:334:1150-5.
Touvier M et al. J Ntl Cancer Inst 2005;97(18)1319-21.