Si un magazine grand public écrit qu'un produit X est bon pour faire baisser le cholestérol LDL, la portée de cette information a moins d'impact que si elle était véhiculée, par exemple, par l'American Journal of Clinical Nutrition. La liberté de l'information est un droit, mais il convient de lire un magazine avec tout le recul et le scepticisme nécessaires, alors que l'on peut accorder normalement plus de crédit à la littérature scientifique. Cependant, cela se complique un peu lorsqu'il faut rendre compte de la pertinence de la méthode statistique employée dans une revue scientifique et, plus encore, si le résumé de l'étude n'en est qu'un pâle reflet. Dans cette situation, la perte d'information peut être réelle et c'est alors la qualité scientifique de la revue (et de l'article) qui doit interpeller le lecteur, au risque d'aboutir à des conclusions trop hâtives et erronées.
Le cas “ brûlant ” des probiotiques
Prenons le cas d'un article publié dans le très sérieux British Medical Journal (1), qui traite de l'administration d'un probiotique, “Lactobacillus rhamnosus”, chez des jeunes enfants pour lutter contre les infections respiratoires et gastro-intestinales. Le résumé des résultats de l'étude suggère que l'on observe une réduction de 17% du nombre d'infections respiratoires. On constate également dans le groupe d'intervention une diminution de 19% de l'utilisation des antibiotiques dans le traitement anti-inflammatoire des voies aériennes. Ces pourcentages ne tiennent cependant pas compte des différences d'âge observées entre le groupe d'intervention et le groupe placebo. Comme le mentionnent Hataka et al (1), l'âge moyen des enfants du groupe d'intervention est en effet plus élevé que celui des enfants du groupe placebo (respectivement 4,6 ans (1,3-6,8) et 4,4 ans (1,3-6,7)). Cette différence d'âge peut forcément avoir une influence sur l'incidence des infections respiratoires et du tractus gastro-intestinal.
Un méli-mélo statistique
La conclusion de l'étude est, après ajustement pour l'âge, quelque peu différente. La période sans infections respiratoires et sans infections gastro-intestinales n'était plus statistiquement significative entre les deux groupes (respectivement un odds ratio de 0,86 (0,70-1,06, p=0,16) et un odds ratio de 0,87 (0,64-1,28, p= 0,36). Ces résultats restaient valables aussi pour le traitement antibiotique. Les statistiques ne peuvent et ne doivent pas exclure l'interprétation : il y avait seulement une légère différence, statistiquement non significative, en faveur du groupe d'intervention. Après 7 mois d'administration de 3 doses de probiotiques par jour, le bilan est maigre : on peut juste s'attendre à une légère protection… Cette étude montre à quel point, à l'avenir, d'autres analyses sur les effets protecteurs des probiotiques dans les infections respiratoires et gastro-intestinales sont nécessaires avant de pouvoir accréditer cette hypothèse.
En fouillant un peu plus…
Par le passé, les probiotiques ont montré qu'ils sont capables d'offrir une protection à l'encontre de certains types de diarrhée (2, 3, 4) : ceci n'a pas été démontré dans cette étude ! En investiguant un peu plus encore, on note que les plaintes des enfants étaient en fait enregistrées par les parents, ce qui laisse la porte grand ouverte à une interprétation subjective ; que les enfants malades étaient suivis par des médecins différents, ce qui peut aussi influencer l'utilisation des antibiotiques et, enfin, que sur les 571 enfants qui participaient à l'étude, 58 ont abandonné les essais sans évoquer de raisons. Par ailleurs, une excellente revue de la littérature sur les probiotiques est parue dans l'American Journal of Clinical Nutrition (5). L'objectif était de passer au crible les allégations santé (stimulation du système immunitaire, réduction du taux de cholestérol et/ou prévention du cancer) reposant sur des preuves scientifiques. Les deux auteurs ont parcouru la littérature entre 1988 et 1998, une méta-analyse étant impossible du fait du nombre limité d'études disponibles. Seul le “Lactobacillus GG” peut réduire de 1 jour la diarrhée imputée au Rotavirus. En ce qui concerne les autres causes de diarrhée, une autre souche de probiotique est actuellement fortement étudiée. Aucune étude n'est suffisamment concluante quant à l'effet hypocholestérolémiant et l'effet anticancérigène des probiotiques.
Patrick Mullie,
Diététicien
Références:
1.Hatakka K, Savilahti E, Pönkä A, et al. Effect of long term consumption of probiotic milk on infection in children attending day care centres: double blind, randomised trial. BMJ 2001; 322: 1327-1329.
2.Kaila M, Isolauri E, Soppi E, et al. Enhancement of the circulating antibody secreting cell response in human diarrhea by a human lactobacillus strain. Pediatr Res 1992;32:141–144.
3.Arvola T, Laiho K, Torkkeli S, et al. Prophylactic Lactobacillus GG reduces antibiotic-associated diarrhea in children with respiratory infections: a randomized study. Pediatrics 1999;104: 64.
4.Vanderhoof JA, Whitney DB, Antonson DL, et al. Lactobacillus GG in the prevention of antibiotic-associated diarrhea in children. J Pediatr 1999;135:564–568.
5.De Roos NM, Katan MB. Effects of probiotic bacteria on diarrhea, lipid metabolism and carcinogenesis: a review of papers published between 1988 and 1998. Am J Clin Nutr 2000;71:405-411.